George et Moi.
Il y a des profs qui pensent avoir de bonnes idées, mais qu’est ce qu’une bonne idée ?
Cette prof de Français de 5ème n’était ni meilleure ni pire qu’une autre, mais c’était ma prof de Français. Donc il fallait bien que je fasse avec. Faire avec, n’est ce pas une des choses les plus importantes qu’on apprend à l’école finalement ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de profs qui s’en rendent compte : faire avec eux les profs, faire avec les autres élèves, les cours, les horaires, les devoirs… Pffff… Tout un apprentissage pour plus tard, quand il faudra faire avec l’entreprise, les patrons, les sous-chefs, les salaires, les transports en commun, la déclaration d’impôt, le repassage… C’est ce qu’on baptise un peu pompeusement la « socialisation » j’imagine. J’en garde beaucoup d’indulgence pour ceux qui conservent de petits travers propres aux asociaux.
Donc, cette prof de Français.
Elle s’était entichée d’une idée : nous habituer à prendre la parole en public. Elle avait prévu une sorte d’exercice grandeur nature qui devait avoir lieu devant d’autres profs, les élèves, les parents d’élèves… Une sorte de prépa aux classes prépa –une pré-prépa- dès fois que certains d’entre nous envisageraient une future carrière politique. Ce qu’aucun d’entre nous à ma connaissance n’a entrepris. C’est dire si cette classe ne comptait que des gens intelligents.
Pour égayer l’exercice, notre prof de Français avait décidé de faire appel à quelque chose d’un peu stimulant pour nous. Pour que ça nous intéresse il fallait que ça soit jeune ! Sinon autant essayer de déclamer l’annuaire pendant que toute l’assistance pionce. Elle s’était creusé la tête notre prof’, pour découvrir que ce qui intéresse les élèves c’est… la musique. Waouw ! Découverte majeure ! Il suffirait donc qu’on fasse notre truc sur des textes de chansons.
Mais pas n’importe quelles chansons !
Notre prof avait décidé qu’on ferait notre spectacle oratoire sur des chansons de Brassens !
Brassens !!!
Un chanteur super à la mode pour des élèves de 5ème…. C’est bien simple, plutôt que Téléphone ou Trust, on chantait tous forcément du Brassens dans la cour de l’école évidemment ! Et puis faire ça à Brassens franchement… Obliger des gamins à déclamer du Brassens à l’école ! Il aurait sûrement aimé ! Mais bon, c’était la grande époque des profs Socialos à collier de barbe, qui se pensaient super moderne en faisant entrer Brassens à l’école. Bientôt, pendant le 1er septennat de Mitterand il y en aura quelques uns des profs à collier de barbe qui deviendront ministres, et qui resteront chiants. Ils devaient l’écouter Brassens c’est sûr, mais visiblement, au fond, ils n’avaient rien entendu de ses chansons.
Donc j’étais super heureux de devoir déclamer du Brassens en public !
Brassens était peut être respectable, mais c’était surtout un vieux, adoré des profs, avec sa guitare sèche qui faisait « ploink, ploink », sa voix qui faisait « pom, pom ». Il ne manquait plus que les charentaises. Vraiment pas le truc rock’n roll. On était loin « d’antisocial tu perd ton sang froid… » de la bande à Bernie Bonvoisin.
Pour tout dire, on s’en foutait de Brassens !
Et puis j’étais un rebelle moi, et un timide aussi. Et même, j’étais rebelle parce que j’étais timide. Alors pas question que je me mette à pérorer du Brassens en public. On a beau être un mioche de 5ème on a déjà un sens affirmé de sa propre dignité. J’avais donc décidé qu’il n’était pas question que je me prête à cette mascarade, et puis ça m’arrangeait.
Hélas, ma prof de Français –qui pourtant n’avait pas de collier de barbe- restait sourde à mes récriminations, et coupant court à mes objections passa directement aux menaces habituelles. Il fallait donc que je m’exécute : Brassens, putain, merde… Brassens !
Pour montrer ma mauvaise humeur, je décidai de ne rien préparer, en rebelle timide que j’étais. Pendant 2 jours, chaque élève sauf moi sélectionna donc un texte avec la prof, histoire d’être prêt.
Le jour J arrive. Il y a une estrade, le public, les élèves se suivent les uns derrière les autres. Chacun déclame son truc : l’eau de la clairefontaine, auprès de mon arbre, les copains d’abord, chanson pour l’auvergnat… C’est très chiant. Le public –comme c’était à prévoir- s’emmerde ferme. Il n’y a que ma prof de Français et ses collègues à collier de barbe qui ont l’air d’être très contents d’eux. Il leur faut vraiment pas grand-chose…
C’est mon tour. Toujours aussi content d’être là, j’attrape le recueil de textes de mon prédécesseur. J’ai même pas mon propre bouquin, j’ai rien préparé, en bon rebelle timide. Je monte sur l’estrade en arborant ma bouille ronchon (les ados ont toujours une bouille ronchon prête à l’emploi à chaque instant). J’ouvre le recueil des chansons de Brassens comme ça vient et complètement au hasard, je commence à lire le 1er texte qui me tombe sous les yeux :
C’est à travers de larges grilles
Que les femelles du canton
Contemplaient un puissant gorille
Sans souci du quand dira t’on
Avec impudeur ces commères
Lorgnaient même un endroit précis
Que rigoureusement ma mère
M’a défendu de nommer ici …
Hum… Intérieurement je me demande quel sale coup étaient en train de me faire Brassens et le hasard réunis. Extérieurement, je remarque quelques têtes dans l’assistance qui semblent sortir de leur torpeur. Je poursuis :
…
Le singe en sortant de sa cage
Dit en sortant c’est aujourd’hui que j’le perd
Il parlait de son pucelage
Vous aviez deviné j’espère…
Sur mon estrade je commence à rougir. Il y a des âges ou on est encore pudique malgré les rodomontades de cour d’école. Déclamer du dépucelage devant un public adulte n’est pas chose facile, surtout pour un rebelle timide. Si le but de l’exercice était de surmonter ses craintes à parler en public, le hasard m’a bien pris à mon propre piège.
Je lève un peu les yeux pour voir ce qu’il se passe dans l’assistance. A cette époque lointaine, sans porno stars invitées à la télé, sans filles en Aubade sur les murs, mais avec des gens scandalisés par un Coluche disant « merde » à la radio, je remarque qu’il y a de plus en plus de têtes maintenant bien éveillées.
Deux clans distincts semblent se former. Les tronches hilares qui se marrent autant –sinon plus- du texte de Brassens que de la tronche rougissante de ce gamin en train de déclamer Gare Aux Gorille. Et puis les tronches scandalisées des autres : quoi ? Que se passe t’il dans l’enceinte sacrée de l’école publique gardienne de la morale de nos chers petits ? Sous la rigolade, le scandale de ma lecture couve.
Je regarde vers les profs. Certains rigolent en douce. Mais le clan des colliers de barbe et ma prof de Français ont l’air atterrés et abasourdis. La silhouette cylindrique surmontée du visage rougeaud du directeur se dirige vers eux. Cet Auvergnat qui aurait fait démentir à Brassens sa chanson éponyme a l’air furibard. M’est avis, que les tronches en biais de l’assistance ont déjà du le griller, et qu’il vient régler son compte aux responsables de cette provocation pornographique.
Grâce à Georges je tiens ma vengeance :
…
La suite serait délectable
Malheureusement je ne peux
Pas la dire et c’est regrettable
Ca nous aurait fait rire un peu
Car le juge au moment suprême
Criait maman, pleurait beaucoup
Comme à l’homme ou le jour même
Il avait fait trancher le cou