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14 avril 2005

Au Pied De La Lettre

florence_et_hussein24
J’ai eu des grands parents lettrés.

Entendez par là, des grands parents qui étaient obsédés par les lettres. Pour eux, écrire une lettre était un acte extrèmement sérieux. Ecrire une lettre engageait obligatoirement un mouvement de forces que rien ne pouvait plus arrêter, de réactions en chaîne d’une logique implacable.

Pour cette raison, mes grands-parents menaçaient sans cesse d’écrire des lettres.
« Je vais écrire à Paris Match à propos de cet article sur les catholiques (pas question de toucher aux Cathos avec mes grands parents). – Je vais envoyer une lettre à la mairie pour qu’ils aménagent ce carrefour. Je vais écrire au Président de la République, au Préfet, à l’ordre des médecins, à la RATP, à Guy Lux, à la direction du Figaro, à l’ORTF, aux Jeux de 20 heures, à Télérama, à Monseigneur Lustiger, aux machines à coudres Singer, à Beaubourg (cette « horreur »), aux voisins du dessus pour qu’ils fassent moins de bruit, à la SPA, au pape… ».

Ben oui, tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des grands-parents communistes. Les miens ne vendaient pas l’Huma le dimanche, n’appartenaient pas à la cellule Maurice Thorez du 94, ne voyaient pas en Youri Gagarine un héros du monde moderne, ils n’allaient jamais manifester en brandissant des calicots rouges ou des pancartes avec faucille et marteau.
Non.

A la place ils étaient abonnés au Figaro, trouvaient drôle les dessins de Jacques Faizant, allaient à la messe chaque dimanche en pestant contre le concile Vatican II, admiraient De Gaulle, détestaient Mitterand qu’ils appelaient d’ailleurs Mit’ran en signe de mépris, trouvaient que les enfants d’alors (moi) étaient mal élevés, qu’une bonne « tourlousine » n’a jamais fait de mal à personne, attendaient les chars soviétiques au bas de chez eux au soir du 10 mai ’81, et sur le tard ils se sont abîmés dans un racisme Front National même pas honteux…

Pour autant –à ma connaissance- les lettres de dénonciation qu’ils menaçaient sans cesse d’écrire ont rarement franchi l’étape ultime du timbre sur l’enveloppe. Ils faisaient partie de la majorité silencieuse d’alors, tendance conservatrice vieille France. Avec des relents de pétainisme et d’antisémitisme qui remontaient parfois à la surface, bien qu’ils n’aient pourtant jamais fait de mal à une mouche.
Seulement ils étaient du côté de la loi et de l’ordre toujours, de la hiérarchie et du respect des chefs d’abord. On pouvait s'en moquer des chefs, mais seulement comme Thierry Le Luron le faisait, en leur conservant son bulletin de vote.
Leurs pseudo lettres c’étaient leurs manifs à eux. Un peu comme ce personnage d’un livre de Saul Bellow (qui vient de disparaître et dont je vous recommande la lecture) ou le héros, mal remis d’un mauvais virage de sa vie se met à pondre des lettres à tous ceux qu’il côtoie.

Ils n’étaient pas foncièrement méchants. Ils avaient dû se remettre de 2 guerres mondiales, et sans les excuser, ils avaient fait de leur mieux, en croyant à un monde frileux et replié sur lui et des valeurs éternelles et très catholiques.
Juste dépassés et apeurés par la marche du monde, comme parfois je le suis aussi aujourd’hui, mais avec des réflexes différents.

Aujourd’hui je pense un peu à eux quand j’entends tous les délires dans lesquels le référendum sur la constitution européenne nous emmène. Le dernier en date est un sondage (oui, je sais, les sondages, pfff…) qui indique qu’une majorité de votants choisira le Non tout en espérant que le Oui l’emporte quand même !
C’est t’y pas débile !?

Je vote l’inverse de ce que je veux voter en signe de protestation, mais j’espère qu’il y aura assez de gens raisonnables pour voter comme j’aurai dû le faire. Voilà qui a un sale goût de 21 Avril le retour, d’un Le Pen au second tour d’une présidentielle, et d’un 80% de oui à un J.Chirac qui ne sait plus quoi inventer pour espérer se rendre intéressant avec ce référendum.

Ce qui échappe aux discours des uns comme aux autres c’est qu’en Politique comme ailleurs l’usage de la raison n’est pas forcément l’élément moteur.
Comme si c’était sur la seule information que nous posions des choix réfléchis !
Comme si la réflexion était toujours associée à l’action !
Comme si la psychologie, l’état d’esprit si on préfère qu’il soit individuel ou collectif ne pesait pas sur les choix que nous croyons exercer en toute lucidité !
Les hommes politiques sont pourtant bien placés pour le savoir, et les plus populistes d’entre eux savent très bien exploiter et manipuler en recettes simplistes et stupides les remèdes aux craintes et aux peurs du lendemain que nous pouvons tous éprouver. Les De Villiers, les Le Pen, et même les Chirac ou Sarkozy savent cela.

Ne répondre que par des arguments logiques pour promouvoir un oui ou un non, c’est simplement insuffisant.
Bien sûr ceux qui font la promotion du Non ont l’avantage pour eux. Dans le mouvement de récession actuel, une constitution se doit au moins, au minimum, c’est obligé, d’être rien moins qu’idéale. C’est la seule chose qui doit permettre de réparer les injustices, réelles ou imaginaires que l’Europe a fabriqué ou nous promet pour demain.
Sauf que l’idéal c’est inaccessible, c’est soumis à nos changements d’humeur permanents, c’est difficilement transformable en objectif collectif. C’est un but auquel on peut toujours penser, mais qui toujours nous échappe.
Imaginez seulement à quoi correspondrait un monde réellement idéal !???
Ce serait tout simplement horrible, un univers figé et sans mouvement, car au-delà de l’idéal que reste il ?

Les tenants du Oui eux ne peuvent promettre qu’une constitution bancale, un compromis qui toujours dans le contexte d’aujourd’hui ne peut que décevoir tout le monde. Trop libéral pour la vraie gauche, trop sociale pour les libéraux. Pas assez européènne pour les fédéralistes, toujours trop collective pour les souverainistes...
Le fait que cette constitution soit un compromis des volontés contradictoires de nations et d'intérêts différents, une représentation de tout ce qui associe les membres de l’union autant que ce qui les oppose n’a rien de palpitant par rapport à l’idéal.
Le réalisme n’a rien de sexy pour reprendre un terme dans lequel la politique est désormais censée s’exprimer. La constitution est aussi sexy que Raffarin, VGE ou François Hollande, c’est dire !

Reste à savoir sur quelle option on veut se déterminer finalement. Protester c’est respectable, tout comme vouloir qu’une constitution succède à Maastricht et le traité de Nice pour une nouvelle étape européenne.
Oui ou non, peu importe, pourvu qu’on ne se raconte pas des carabistouilles sur le sens de notre choix.

Moi je sais juste que mes grands-parents auraient certainement pesté publiquement avec un De Villiers, menaçant d'écrire à tout un tas de monde, mais que probablement, dans l’isoloir, ils auraient suivi les conseils du Président Chirac… à la lettre. Mais en continuant à se raconter des histoires.

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Commentaires
L
Pas grand-chose à rajouter à ton commentaire.<br /> Sinon qu'on serait quand même en droit d'espérer de la gauche Française un vrai projet de société basé sur cette constitution. Et que cela on l'attend toujours depuis la dernière présidentielle.<br /> S'il n'y a pas de vrai débat autour du oui, et autant de place laissée au non, c'est aussi parce que les projets "alternatifs" à gauche sont sans réelle consistance. A part le côté protestataire.<br /> Mais bon, c'est juste mon opinion.
A
Au moment de Maastricht il y avait la même méconnaissance, mais la situation générale était très différente. L'Europe était porteuse de plus d'espoirs, à plus ou moins juste titre. Et Mitterrand avait su porter la campagne. Aujourd'hui, il y a de nombreuses personnes qui ont voté oui à Maastricht qui le regrettent et vont justement voter non ou s'abstenir. Le oui arraché par Mitterrand se paie d'une certaine façon par un retour en force du non aujourd'hui.<br /> Le bilan réel de l'Europe, on le perçoit très mal. Notre droit est de plus en plus influencé par l'UE, les directives concernent un grand nombre de domaines sans qu'on le sache toujours. On ne voit de l'Europe que la présentation qui en est faite, or comme les politiques se servent d'elle pour se dédouaner, il suffit de quelques propositions bien choisies pour accréditer l'idée que tous nos dysfonctionnements y trouvent leur source. Le camp du oui étant par la dessus porté par des purs technocrates suant le mépris comme Moscovici, Guigou, Copé, que Lang nous ressort son couplet de la politique paillettes, tout pousse à rejeter ce traité. C'est l'image d'une classe dirigeante coupée du peuple que donne les supporters du oui. La réaction des socialos devant la prestation de Chirac jugée médiocre par tout le monde est assez révélatrice. Ils n'en disent pas de mal par peur de faire reculer encore le oui alors que c'est justement en agissant ainsi qu'ils risquent de faire progresser le non.
L
> Nounou.<br /> Oui et non.<br /> Quand un sondage montre que des électeurs vont voter l'inverse de ce qu'ils voudraient vraiment, en espérant que les autres seront assez nombreux pour que leur choix initial l'emporte, ça devient du n'importe quoi !<br /> Si les électeurs se mettent à fonctionner comme les plus abrutis de nos politiciens on n'est pas sortis de l'auberge.<br /> <br /> Le manque d'informations dans une société de plus en plus informée, j'y crois de moins en moins.<br /> D'ou mon idée que ce qui détermine notre choix est loin d'être liée à la seule connaissance des faits et à l'exercice d'une raison souveraine.<br /> <br /> Tu ne crois pas ?
L
> Catz.<br /> Y a eu un "bis repetita" on dirait.<br /> Je suis d'accord avec toi pour les votes blancs.<br /> Voter blanc montre un attachement aux valeurs et au processus démocratique, mais ne pas se reconnaître dans les candidats proposés.<br /> Ceci dit, il faut aussi un peu faire appel à un principe de réalité. C'est à dire voter pour le candidat qui déplaît le moins, le candidat idéal étant une sorte de dahut politique.<br /> Moi ce dont je me rend compte c'est que le fossé ne cesse de se creuser entre les électeurs et les grands responsables politiques.<br /> Et ça, c'est pas bon.<br /> <br /> Pour la nébuleuse de l'oeil du chat, je crois que j'en ai publié une autre au début de ce mois.<br /> Une boule de cristal à caresser dans le sens du poil !
L
> Anastomoses.<br /> Houlala, Anastomoses is back !?<br /> :)<br /> <br /> Ce que tu dis sur la méconnaissance du fonctionnement des institutions européennes est vrai (je m'y inclus). Ainsi que sur la part de responsabilité de nos dirigeants.<br /> <br /> Mais cette méconnaissance des institutions était vraie aussi au moment du vote Maastricht.<br /> Alors je crois aussi qu'aujourd'hui, les électeurs tirent un bilan de ce qu'a apporté l'union européenne.<br /> <br /> Bizarrement, leur conclusion est (il me semble) qu'ils voteront Non parce qu'il n'y a pas assez (ou assez bien) d'Europe (en matière sociale, de défense, de justice...) mais pas qu'il y en a trop.<br /> Est ce à dire que cette constitution est trop faible ? Elle inclut pourtant des avançées que les traités précedents ne contenaient pas.<br /> <br /> Les électeurs ont également la mémoire courte. Quand nationalement on porte des gouvernements conservateurs au pouvoir, faut pas s'attendre à un keynesianisme effréné en Europe.<br /> <br /> En tout cas ce qui est juste c'est que le discours des tenants du Oui ne vont pas arranger les choses en étant incapables de présenter un bilan positif de l'activité de l'UE, et en traitant les tenants du Non comme des gamins irresponsables.<br /> <br /> Au fond, dans le discours pro ou anti constitution il y a le même objectif (sauf pour les souverainistes). Celui d'aller vers une meilleure intégration européenne.<br /> Par étape pour les tenants du Oui, par une redéfinition radicale des priorités de base pour les tenants du Non.<br /> <br /> Dans l'histoire ce que je trouve effrayant c'est la surdité obstinée des socialistes à ne pas entendre le mécontentement de leur électorat, qui leur demande des ambitions, un projet et des objectifs. Et sa déclinaison européenne.<br /> <br /> Toujours en panne de ce côté là.<br /> Un boulevard de plus ouvert à Sarko.
L a V i t a N u d a
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