Be My, Be My Baby...
En discutant hier avec une amie qui a entamé une démarche pour adopter un enfant, ça m'a amené à réfléchir à pas mal de choses, à l'idée d'avoir un enfant aujourd'hui. Vu que le train du retour à la maison avait une fois de plus du retard, j'ai eu le temps d'y réfléchir.
Et peut-être bien qu'au fond, avoir un enfant ça ne doit pas être un acte trop trop réfléchi, quelle idée de se lancer dans un tel truc. Il faut bien qu'on ne puisse pas s'en empêcher d'en vouloir un, à l'idée d'avoir à supporter des nuits sans sommeil, les cauchemards, toute le processus éducatif, les maladies Bref toutes les angoisses que les parents se fabriquent dès qu'ils savent que va arriver cette petite chose pleine de vie. Faut bien y être poussé par une envie pas raisonnable du tout.
A bien y réfléchir, toutes ces angoisses de père ou de mère, elles sont aujourd'hui différentes de celles qu'on vécu nos parents.
Ce qui change, ou plutôt a changé depuis maintenant pas mal de temps, c'est qu'avant la question pour un couple, c'était d'éviter d'avoir un enfant avant que le moment ne soit venu.
Après tout le droit à la contraception, puis à l'avortement c'est pas vieux que ça. Si vous avez eu des parents qui ont dans la soixantaine aujourd'hui, ils ont vécu tout ça, et pourraient vous parler de la méthode Ogino, un truc ou ils fallait en permanence avoir un thermomètre dans l'arrière train afin de déterminer une courbe de température dans laquelle on pouvait distinguer la fenêtre autorisée pour un p'tit crac crac sans risque. Enfin bon, ça marchait pas à tous les coups non plus. Si ça se trouve vous, moi, on est des bébés Ogino sans le savoir
L'angoisse de se retrouver enceinte avant d'avoir envie d'un enfant ç'était pas rien. Sans parler de l'éventualité d'une grossesse non désirée, et de devoir aller avorter en Angleterre (pour les plus chanceuses) par exemple. Donc d'une certaine façon, pour les couples non concernés par un risque de stérilité, avoir un enfant était là plus ou moins comme une certitude. Un truc qui allait se produire tôt ou tard malgré de multiples précautions, et la conséquence inéluctable d'être amoureux.
Aujourd'hui c'est franchement autre chose. Les générations suivantes en ayant accès aux moyens contraceptifs, et à une liberté sexuelle plus grande, la perspective est différente. Un enfant arrive parce qu'il est désiré. Qui s'en plaindrait ?
Mais par extension, toutes ces libertés ont aussi eu des effets avec lesquels il faut compter. On choisit la période de naissance, voire le sexe de l'enfant, on provoque l'accouchement si le bébé ne rentre pas dans le planning de l'obstétricien et j'en passe Du coup l'enfant n'arrive plus comme une évidence sur laquelle on ne peut avoir que peu de latitude. Il arrive parce que il est voulu, à tel moment, pour telles ou telles raisons, dans un contexte donné, par le couple. Du coup le bébé est de moins en moins une surprise, il est déjà dans une dimension d'enfant roi, il doit être parfait, sans défaut, remplir toutes les promesses qu'on lui a déjà collé sur le dos. En tout cas, à mon avis, encore plus qu'avant.
Le couple pense agir sous de bonnes raisons quand il agit volontairement et avec des intentions précises sur tout le déroulement allant de la conception à la naissance. Et c'est possible, alors qui le lui contesterait. On ne va pas revenir au XIXème siècle non plus ?
Mais ce que le couple oublie souvent, c'est qu'au-delà de son désir de tout contrôler (un désir étange d'ailleurs) dans le processus natal pour que celui-ci se passe au mieux, il met aussi en jeu tout un ensemble de valeurs, de raisons conscientes ou inconscientes, qui sont bien différentes des seules bonnes intentions qu'il / elle imagine au départ.
Il suffit de voir à quel point la place de l'enfant a évolué : dans le commerce avec tous les produits qu'on développe pour lui, dans les médias, la publicité ou on joue la carte du petit mioche parce qu'on sait qu'il aura un impact sur les parents. Il y a même des programmes éducatifs qui touchent les enfants, alors qu'ils ne sont pas l'objet du message : par exemple les programmes sur la cigarette. Parce qu'on sait que les enfants sont « prescripteurs » (comme on dit) dans leurs famille, c'est-à-dire qu'ils ont une influence reconnue sur les décisions des parents, on les invite à dire à leurs parents que fumer c'est pas bien.
Exemple plus extrème, et là je mets pleins d'oeufs sur les mots sur lesquels je vais marcher.
Même si les phénomènes de maltraitance sur les enfants ne datent pas d'aujourd'hui, il faut voir deux choses dans le développement de ces maltraitances, et leur médiatisation grandissante. D'abord une meilleure prise en compte de ces maltraitances et un meilleur respect de l'enfant. Qui s'en plaindrait ? Pas moi.
Mais d'un autre côté, c'est aussi remarquer que l'enfant, s'il est devenu une cible de malades de toutes sortes, c'est parce que l'enfant est le tabou à salir et à détruire, le symbole moderne de l'angélisme et de la pureté auquel un esprit totalement pervers doit s'attaquer. Encore plus aujourd'hui.
Et là, je crois qu'il faut se calmer. Les enfants ne sont pas des anges de pureté. Ce ne sont pas des réceptacles pour nos fantasmes de perfection. Les enfants sont des enfants (c'est Raffarin qui me l'a soufflée celle là).
A mon avis, cette idée de bébé parfait, elle n'est pas faite pour aider les parents, qui peuvent se sentir liés à une sorte de devoir de réussite qu'ils n'osent pas s'avouer au risque de se dire qu'eux mêmes ne sont pas des êtres parfaits et généreux.
On voit même que les progrès médicaux, par exemple dans les domaines du diagnostic prénatal, peuvent se retourner contre les médecins, mis en responsabilité si le bébé est atteint d'un problème qui n'a pu être identifié. Il y a peut être aussi une angoisse supplémentaire de la future mère à se demander si elle va réussir à le fabriquer ce gamin avec un 20/20 en plus. Idem pour le père.
D'ailleurs parlons en du père.
En tant qu'homme il a du apprendre à partager les rôles traditionnels dévolus à la femme et à lui-même. A partager le travail, les décisions, le pouvoir... La aussi qui s'en plaindrait (à part les plus traditionalistes d'entre nous). C'est pas forcément facile pour ceux qui se reposaient le plus sur cette conception « paternaliste » (c'est le cas de le dire) de l'homme. Parce qu'ils trouvent peu de choses pour eux en échange dans un couple aujourd'hui, et que la tentation est importante pour certains de se recroqueviller sur un bon vieux machisme bien rance. Il leur suffit de tomber sur des femmes qui n'ont aucune confiance en elles à l'idée d'assumer tout ce qu'on demande à une femme aujourd'hui (et on leur en demande beaucoup beaucoup), et le mauvais tour est joué. Voilà un couple destiné au meilleur du pire. Mais je m'éloigne de mon sujet de départ.
Bref le père se retrouve dépourvu des conditions de son statut initial d'élément stabilisateur dans la famille. Celui qui fait régner la loi du père en quelque sorte comme on dit chez Freud. Encore une fois il suffit de prendre la pub comme un révélateur des stéréotypes de rigueur dans notre beau monde. Dès qu'une famille est mise en scène, les enfants sont futés et arrivent à leurs fins (les enfants rois), la femme est quelqu'un qui prend les décisions (une femme moderne quoi) et heureusement car la plupart du temps le père est décrit comme un abruti qui ne comprend rien à rien, largué, incapable de décider. En quelque sorte l'enfant, ou plutôt l'infantilisé de la famille c'est lui.
Il faut aussi y ajouter que certaines traditions ont toujours la vie dure. Par exemple, en cas de divorce, la garde des enfants est attribuée presque toujours (si les conditions matérielles le permettent) à la mère. D'un strict point de vue d'égalité entre les sexes, on peut se demander pourquoi ? Pourquoi un père serait plus inapte à élever ses enfants qu'une mère ? Bien sûr le lien maternel d'un tout petit est essentiel, mais je crois que le poids de la tradition qui consiste à voir dans une femme avant tout une mère de famille, joue dans ce cas précis en sa faveur pour obtenir la garde des enfants.
Bref à l'arrivée, plus rien ne va de soi, dans le fait d'être père. Et c'est à chacun d'arriver à construire un modèle original de famille, et d'atteindre à un équilibre que la vie quotidienne ne favorise pas forcément par ailleurs. Il suffit de constater le recul de l'âge de la première naissance, l'augmentation des familles mono parentales ou recomposées, la part grandissantes des célibataires (dont je fait partie) pour se rendre compte des effets de cette liberté.
En remettant tous les choix possibles entre les mains de l'individu, moins soumis aux impératifs de la société ou de la nature, la question de la satisfaction du désir personnel apparaît au premier plan, et n'est pas sans poser un certain nombre de difficultés. Qu'est ce qu'un bon compagnon ? Qu'est ce que l'union de deux personnes ? A quoi m'engage le fait de souhaiter construire une famille ? A toutes ces questions, il n'y a plus de réponses toutes faites. Chacun se retrouve aussi seul à assumer toutes ces questions là. et à en exercer les choix avec les moyens dont il dispose.
Bref, le désir d'enfant s'établit aujourd'hui sur la base de nouvelles règles, les mères et les pères doivent y répondre en essayant de ne pas être totalement débordés par ce qu'on attend d'eux directement, ou indirectement. A travers la réalisation d'un enfant qui devra être forcément beau, épanoui, intelligent, faire des études (pleins), se réaliser, être exceptionnel car on ne saurait être moins que ça.
Pas qu'avant les parents ne rêvaient pas d'une vie meilleure que la leur pour leur progéniture. Ou même que certains ont fait des enfants pour qu'ils rachètent la vie qu'eux même n'ont pas eu, genre mon fils / ma famille tu deviendras celui ou celle que moi je n'ai pas pu être.
Mais aujourd'hui plus qu'avant, un effet pervers de donner plus de choix et de liberté aux couples, c'est de placer le désir d'enfant dans une dimension ou cet enfant est encore plus une prolongation des fantasmes de ses parents, et des influences qu'ils subissent. L'enfant est beaucoup moins cette surprise à laquelle il allait falloir se coltiner.
C'est de plus en plus un poids du côté de l'ambition et de moins en moins un désir.
Je ne suis pas sur que les hommes et les femmes y gagnent vraiment toujours au change.
Il suffit de noter dans les pays développés- l'augmentation statistique des difficultés natales pour les couples, et le recours à des soutiens allant des traitements hormonaux légers, jusqu'à l'insémination artificielle. Ou l'augmentation des traitements thérapeutiques pour les allergies, ou troubles du comportement de l'enfant.
Je veux bien que ces augmentations soient liées en partie à des dégradations de l'environnement (pollution, alimentation), au sentiment d'insécurité économique et sociale, ou la peur de l'avenir Mais on pourrait aussi y voir l'affrontement entre le désir légitime d'un enfant (pour ceux qui le souhaitent), et la trouille de ne pas réaliser cet enfant roi parfait. D'ailleurs comment faire un enfant parfait si les conditions économiques et sociales pour cela ne sont pas parfaites. Le risque est innaceptable. Car la sécurité doit être maximum pour réaliser non plus un enfant, mais un désir d'enfant.
Les différents facteurs se combinent entre eux pour faire porter sur les parents le poids de plus en plus important de tout un tas d'incertitudes. Incertitudes auxquelles sont censés répondre la société, la médecine, la planète psy, la famille... Parce que l'individu, à lui seul, ne peut supporter ce poids là, surtout si toutes les décisions sont remises à son seul engagement, à sa seule responsabilité.
Comme quoi, quand on a pas encore d'enfant, ça n'empêche pas d'avoir quelque chose à en dire !
D'ailleurs, si jamais je trouve une fiancée du genre de celle là, la dessous, je veux bien lui en faire tout plein des p'tit schtroumpfs.
Agence Magnum / David Seymour / Ingrid Bergmann et ses deux enfants : Isabella et Rosetta Rosselinni.