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22 janvier 2007

Mon Immeuble Yacoubian 3 - Mr K.

Monsieur K était mon voisin du dessous. Un gars extrêmement discret ce Mr.K. Je ne l’entendais jamais, le croisais rarement. Jusqu’à ce fameux samedi matin.
Ce samedi matin là j’étais en train de profiter d’une de ces bonnes grasses matinées qui font partie des plaisirs du week end quand des cris en provenance du jardin m’ont réveillé. Grrrr… Qui c’est qui me fout en l’air ma précieuse grasse matinée ? Je me lève, ouvre la fenêtre de ma chambre pour identifier l’importun, et je vois, planté sur la pelouse, un policier, la tête levée vers chez moi, en train de crier des « monsieur, monsieur… » !

Interloqué, je me demande si c’est à moi qu’il parle avant de me pencher par la fenêtre et de me rendre compte que tout en bas, à la verticale, le sol du jardin est jonché des objets les plus divers : papiers, chaises, meubles, casseroles, journaux, vêtements, chaussures… Je me penche un peu plus, et m’aperçois que la fenêtre de la chambre de Mr.K. est ouverte elle aussi. Quelques secondes plus tard, je vois une boite passer par la fenêtre, puis une chemise, des cintres, des boites de conserve…

Il se passe quelque chose d’inhabituel, ce qui est plutôt rare dans mon immeuble Yacoubian. Tout le reste est d’ailleurs extrêmement calme, à croire qu’il n’y a que moi qui ai été réveillé ce matin, ce qui m’étonne franchement. Personne aux fenêtres, personne dans le jardin à part le flic. Aucun bruit en provenance de chez Mr.K. Juste les expulsions intempestives des objets les plus divers à travers sa fenêtre. Sinon, on entendrait une mouche voler.
Je passe un T-Shirt, un jean et je descends en bas de chez moi pour demander au flic ce qui se passe. Il n’en sait rien le bleu ! Il me demande si je connais M.K. Ben non, je ne le connais pas Mr.K, pas plus que ça. Son talkie walkie grésille, des renforts arrivent, d’autres policiers, des pompiers. J’appelle Mr.K. avec le policier : pas de réponse. Comme je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre je décide de remonter chez moi.


Dans les escaliers, tout est calme, toutes les portes sont fermées comme si tout le monde était parti en week-end. Je remonte. Sur le palier de Mr.K. des policiers frappent à sa porte, mais il ne répond pas. On me demande si je le connais, à quel endroit j’habite, et puis des pompiers arrivent. L’un d’entre eux me demande s’ils peuvent entrer chez moi. Ils craignent qu’une fois que Mr.K. aura vidé son appartement dans le jardin, il n’ait l’idée d’y jeter la seule chose qui y reste : lui-même.
Une partie des pompiers est dans le jardin pour essayer d’attirer son attention et le calmer, une autre partie est devant sa porte qu’ils veulent enfoncer pour entrer, et une dernière partie veut passer par chez moi, descendre en rappel par la fenêtre de ma chambre et entrer chez lui par sa fenêtre ouverte.
Vous allez trouver ça débile, mais je pense d’abord que je n’ai pas fais mon lit, ni la vaisselle d’hier, et ça m’ennuie. Mais bon, Mr.K. va peut être faire le grand saut alors… Trois pompiers me suivent, l’un passe un baudrier, l’autre l’assure en prenant appui contre le mur sous ma fenêtre, le troisième est en liaison radio avec les autres pour déclencher l’opération en même temps. Et moi je les regarde faire, avec un sentiment d’inutilité que je traduis par l’envie de nous préparer un café. Je suis inquiet pour Mr.K.
Au top départ je vois le pompier au bord de ma fenêtre plonger vers celle de mon voisin, j’entends un grand « boum » venant du palier au moment ou la porte d’entrée est défoncée. Ca va très vite, pas de bruits, pas de cris, pas de geste désespéré de Mr.K. C’est fini.

Les pompiers remballent, me remercient, j’ai oublié le café. Tout le monde s’en va.
Eh ! Oh ! Les gars ! Et Mr.K. alors ? J’accompagne les pompiers dans l’escalier, je retrouve les policiers en bas dans l’entrée, et leur demande ou est Mr.K. Il a déjà été évacué vers les urgences psychiatriques de Ste Anne. Dans le jardin, un incroyable amoncellement des débris du contenu de l’appartement de Mr.K. jonche la pelouse, les arbustes, le sol. Un policier est encore là, je lui demande « Et tout ça, qu’est ce qu’il faut en faire ? ». Il me dit de ne toucher à rien, tout doit rester là. Combien de temps ? Le temps qu’il faudra, et il s’en va.
Tout le monde est parti. Je suis seul dans le jardin à contempler l’étendue du désastre. Je retourne chez moi. C’est en remontant que comme par miracle l’immeuble Yacoubian sort de son hibernation. Des portes s’entrouvrent sur mon passage. Des têtes me dévisagent, genre c’est lui le responsable de tout ce tintamarre ?! Les plus curieux m’arrêtent et m’interrogent. Je suis censé leur faire un reportage people des dernières 45 minutes. Ca m’énerve ! Je les envoie chier : « Si vous étiez vraiment inquiet de savoir ce qu’il se passait, il suffisait de sortir de chez vous et de le demander aux policiers qui étaient là et qui cherchaient de l’aide. » Rideau.
Je passe devant chez Mr.K. La porte est grande ouverte, elle ne ferme plus. Il n’y a même pas de scellés. L’appartement ne contient plus rien, sauf un buffet, et une table, trop volumineux pour pouvoir passer par la fenêtre.

Et puis plus de nouvelles. L’appartement de Mr.K. reste grand ouvert. Le lendemain il pleut. Je me débrouille pour trouver une bâche en plastique et recouvrir de mon mieux les possessions de Mr.K. avant qu’elles ne soient complètement détrempées. Au bout de 3 jours, toujours rien. J’appelle le commissariat pour savoir ou est Mr.K. et s’il est possible de remettre ce qui lui appartient chez lui. Personne n’est au courant de rien, personne ne veut me répondre, du genre de quoi je me mêle. Mais ils m’interdisent de toucher à quoi que ce soit de ce qui appartient à Mr.K. J’appelle les urgences psychiatriques, j’explique la situation, j’apprends que Mr.K. est toujours à Ste Anne, on me le passe au téléphone. C’est la première fois que j’entends sa voix. Il a l’air dans le pâté, c’est peut être les médicaments. En tout cas, il est content de voir que quelqu’un s’occupe un peu de lui. Ensemble, nous décidons de ce que nous faisons de ses affaires. Il me demande d’essayer de retrouver ses papiers, les clés de chez lui, et d’essayer de fermer la porte de son appartement. Le reste il s’en fout.

On s’appellera comme ça jusqu’à la sortie de Mr.K. au bout de plusieurs jours. Il passe chez moi pour me remercier. Cette fois je pense au café, mais il n’en boit pas. Il m’apprend que différents objets répandus dans le jardin lui ont été dérobés pendant qu’il était à l’hôpital.
Mr.K. prévoit pas de quitter mon immeuble Yacoubian. Il veut aller vivre chez sa sœur, pour ne pas rester seul. Avant son départ, je ne reverrais Mr.K. que deux ou trois fois. Parfois, il viendra frapper à ma porte, me demandant s’il peut juste rester quelques minutes chez moi, à discuter, parce qu’il ne se sent pas très bien. Juste discuter un instant suffit à le rassurer, on boit un verre de jus de fruit, on discute, et ensuite il rentre chez lui.
Je me dis que s’il avait été capable de juste cela plus tôt, ou moi, ou quelqu’un d’autre, peut-être que rien ne serait arrivé.
Depuis un autre voisin a remplacé Mr.K.

Sans_titre

*Ce post est dédié au Curé Pierre et surtout à tous les gens d’Emmaüs qui doivent se sentir un peu orphelins aujourd’hui. Pour moi, Emmaüs, c’était l’endroit ou nous allions acheter des meubles de récup’ pas chers quand j’étais petit. C’était des trognes de baroudeurs qui venaient parfois nous les livrer ou faire des travaux à la maison en appelant ma mère « ma p’tite dame » et moi « bonhomme » accompagné d’une bourrade dans le dos.

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Commentaires
L
Ou alors de Wallace (sans Gromit) !<br /> :-)
A
Une sorte de Waldorf, en fait :-))))<br /> <br /> Des bisous !
L
Tenue de cocooning d'un vieux garçon maniaque !<br /> Argh !!!<br /> :-)<br /> <br /> Me voilà en train d'imaginer une nouvelle déco de ce blog en style "vieux garçon maniaque".<br /> (meu non c'est pas'd'ta faute !).<br /> :-)
A
Je dois dire que si on ajoute le ton bourru au vieux garçon maniaque, l'image obtenue est presque aussi délectable que la tenue de cocooning évoquée dans l'ancêtre de cette série, le fameux billet à la vodka !<br /> <br /> :-)<br /> <br /> (Quoi c'est un peu ma faute ?)
L
> Kate.<br /> Je ne connais pas ce livre, ni son auteur. Mais j'irai jeter un oeil (et même les deux) lors de ma prochaine visite à mon libraire préféré.<br /> <br /> > Anitta.<br /> Oui, sans doute. Mais ce matin là, Mr K. avait vraiment l'air d'être "out of his mind". Alors dans ces cas là, je me demande qui dans le cerveau prend les commandes pour décider de ce qui reste, et de ce qui part.<br /> En tout cas, il a bien fait.<br /> <br /> > Swahili.<br /> Oui, peut-être.<br /> J'espère surtout qu'il a pu donner un nouveau tour plus heureux à sa vie, de telle façon qu'aujourd'hui cet épisode soit rangé dans sa "mémoire morte".<br /> <br /> > Fauvette.<br /> Oh ben non, je ne me sens pas du tout son bienfaiteur (d'ou le ton bourru). C'est normal -ça devrait l'être en tout cas- de faire ça ! Si ça m'arrivait un jour, j'aimerai que quelqu'un fasse la même chose pour moi.<br /> En fait, dans un tout autre genre, et il y a très longtemps, quelqu'un a eu un geste pour moi de la même valeur.<br /> Alors peut être que tout simplement je n'ai pas oublié, et que dans des circonstances particulières c'est aussi comme si je m'acquittais d'une dette, ou plutôt comme une sorte de remerciement à vie.<br /> <br /> Ayé, me voilà étiqueté ici "vieux gars maniaque" alors !?<br /> Argh !<br /> :-)
L a V i t a N u d a
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