Papivores.
Chez moi il y a toujours eu pleins de journaux à lire. C'est une habitude familiale.
Habitude que j'ai gardé.
Chacun avait ses lectures préférées dans la famille, et moi c'était Libération.
Mon père lisait "Le Matin de Paris", le quotidien de la génération Miterrand. A l'école les profs nous conseillaient de lire Le Monde, le journal officiel de la voix de la France. Mais je n'ai jamais pu m'y faire à ce journal. Son style chiant et officiel (justement) ayant sur moi un effet répulsif.
Alors moi c'était Libération, puisque des quotidiens de gôôôche ou "progressiste" il n'y en a pas 15 000 en France. J'ai vu venir le relookage de Libé dans les années 80, son abandon d'un style militant et seventies au profit de la mode de l'époque "Vive La Crise" et branchitude ennuyeuse à souhait assortie.
S'en est suivi une période de désamour avec "mon journal" que je ne lisais plus que de loin en loin, fatigué de l'indigence de leurs pages cultures (à part Daney, Lefort, Garnier et quelques autres journalistes). Et d'un manque de curiosité qui était pourtant jusque là le point fort de ce journal.
Je ne m'y suis remis qu'il y a quelques années, au moment en fait ou ma télé est partie aux oubliettes. J'ai retrouvé le plaisir du détour par le kiosque de mon quartier, la recherche de monnaie pour m'acquitter de mes 1.20 Euros, les doigts qui se couvrent d'encre, et les opérations de pliage/dépliage du journal dans les transports en commun surchargé.
Parfois, je m'y retrouve dans le contenu de ce journal, et parfois pas. Mais je suis devenu à la fois plus exigeant en matière d'information et en même temps plus indulgent. Il n'est pas toujours facile de concilier info généraliste et besoin en articles plus pointus sur l'ensemble d'un lectorat quotidien.
Ce matin j'ai appris -mais dans un autre journal- que "mon Libé" subissait une grosse baisse de ses ventes depuis plusieurs mois, et que sa future recapitalisation allait s'accompagner d'un plan social.
Je n'ai rien trouvé à ce sujet dans mon Libé et ça, ça m'a un peu énervé.
Ensuite j'ai appris que le journal allait être remanié. Que l'info sur le website de Libé allait être enrichie, que le Libé papier allait être réduit les jours de semaine, au profit d'une édition plus complète les week end.
J'ai trouvé ce projet débile.
Pourquoi faire un simili journal en semaine ? A quoi sert de singer la presse gratuite (si on peut vraiment parler de presse) genre 20mn et autres, sans devenir un gratuit soi-même ?
Pourquoi devrais-je attendre le samedi pour avoir un journal complet quand j'achète un quotidien et pas un hebdo ?
Le fait est que la presse Française subit une érosion de ses ventes depuis un bon moment.
Le contenu s'étiole, ou alors il faut verser dans l'info régionale comme le fait Le Parisien pour s'en sortir un peu mieux. Mais les quotidiens ne se posent que des problèmes de recapitalisation et de forme.
Les industriels s'achètent des organes de presse et souhaitent y appliquer leurs règles de gestion ainsi que leurs opinions (Dassault, Lagardère...). Les quotidiens eux procèdent à un relookage (Le Figaro, Le Monde), à la course à des suppléments pas forcément utiles et qui décridibilisent leur contenu (Livres, DVD...).
Mais justement, de contenu il n'est pas question.
Les responsables de rédaction, comme les politiques, organisent un grand jeu de chaises musicales et passent de journaux en journaux, tous fiers de leur expérience dans le domaine de la presse qui pourtant n'apporte pas plus de nouveaux lecteurs qu'avant.
Les rédactions et les journalistes se posent pas mal de question sur les relations qu'ils doivent avoir avec leurs nouveaux propriétaires et/ou ceux qui les représentent.
Mais la presse s'interroge peu, ou plutôt elle n'apporte aucune réponse aux questions et à la défiance qu'observent les lecteurs vis à vis d'elle. Son indépendance vis à vis des différents pouvoirs, son rôle d'observateur et de commentateur de faits de société, la séparation entre les faits et l'exercice de commentaires subjectifs, l'implication des médias dans la fabrication de toute pièce d'informations ou plutôt de désinformation, le mélange des genres et les limites entre information et promotion (voire publicité), la complaisance vis à vis des pouvoirs économiques ou politiques dominants, etc, etc...
Alors Libé peut bien se vendre en rose fluo, se mettre une plume dans le derrière, chanter la marseillaise en verlan, ou je ne sais quoi encore... je ne vois pas comment ils retrouveront des lecteurs sans s'interroger sur la nature quotidienne de leur travail (qu'ils font plutôt bien comparé à pas mal d'autres).
Ils ont le choix entre rejoindre les tenants de l'infomerciale sans odeur, saveur ou réflexion mais très rémunératrice en pages publicitaires.
Ou celui de prendre leurs lecteurs pour des gens déjà fort bien informés (à travers d'autres titres de presse, le web, les blogs...) et qui attendent d'un journal quelque chose de consistant à se mettre sous la dent. C'est sans doute moins rémunérateur, mais qui s'appelle encore légitimement du journalisme.