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18 mars 2005

Le Jour Ou...

florence_et_hussein7

… ou j’ai dansé chez Merce Cunningham, ze pape of ze contemporary dance.

- Oui, je sais... ça fait frime comme ça... Mais en fait... -

Je n’étais pas retourné à New York depuis des années, mais pour mon boulot je devais m’y rendre pour mettre en place avec mon boss et mes collègues américains tout un tas de choses si passionnantes, qu’il vaut mieux que je vous en épargne le détail (oh oui, ça vaut mieux).

Arrivé là bas je m’étais retrouvé dans un Holiday Inn un peu glauque, vers Long Island donc assez loin de Manhattan. Mes journées se passaient au bureau local de la direction US, au milieu de zones d’entrepôts à moitié en ruines, entourés de « parkings lots », de revendeurs de pneus, de matériel électronique, de chaussées défoncées, de câbles électriques pendouillant tristement sur de vieux poteaux en bois pourri, de maisons un peu délabrées… dans le plus pur style « trous à rats » comme on en voit tant là bas.

Ne nous moquons pas, on fait la même chose chez nous dans toutes ces ZAC en sortie d’agglomération, décorées à coups de Halles aux Chaussures, de Confo’ le magasin qu’il vous faut, de Cheminées René Briseglace, et j’en passe. L’idée de passer sa vie professionnelle dans ce genre d’endroit, devrait normalement diriger n’importe qui vers la cure de Prozac la plus proche.

On ne faisait donc rien d’autre que de travailler, -et pour cause- vu qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Jusqu’au retour à l’hôtel, pour manger un morceau et s’ennuyer consciencieusement devant CNN, ou « Americas Most Wanted » ou les clips de MTV.

Parfois, comme il faisait très beau et chaud, j’en profitais le soir pour aller me balader dans le quartier. En m’attendant à me faire coffrer par la première voiture de police, étant donné que là bas, les gens ne marchent pas… Ils roulent ! Ceux qui marchent sont des suspects potentiels, ou des Français (mais c’était avant l’Irak , ouf !).

J’allais jusque dans les beaux quartiers, car Long Island est un « borough » bourgeois, avec de grandes maisons style vieille Angleterre toutes neuves, un garage pour 3 voitures (c’est un minimum), et un jardin toujours impeccablement tondu chaque matin par un jardinier Coréen. On se croyait dans un remake du Cercle des Poètes Disparus mâtiné de Petite Maison dans la Prairie !

Après deux bonnes heures de balade à la nuit tombante, rafraîchi par l’arrosage automatique (fourni en option avec l’achat de la pelouse) je rentrais en grillant une petite cigarette, le personnel de réception de l’hôtel se demandant ce que j’avais bien pu faire sans voiture, si longtemps.

On approchait de la fin du séjour, et je commençais à ne plus tenir en place, à me morfondre dans ce « Nowhere Land » de l’Amérique profondément chiante. On ne dira jamais assez à quel point ce pays est apte à fabriquer de l’ennui à n’en plus finir !

Alors le dernier soir, je décidais de prendre la poudre d’escampète. Je prétextais je ne sais plus quoi, pour échapper à la soirée bouffe-boulot-dodo, et partais jusqu’à la gare pour prendre un train de banlieue en direction de Manhattan.

Je me faisais le même effet que mes trajets de parisien moyen, le côté train de banlieue US en plus ! J’arrivais enfin en vue de Manhattan après une bonne heure de train et c’était comme la délivrance, et comme des retrouvailles avec mon passé en même temps.

La lumière des premières journées de printemps commençait à peine à diminuer, et je décidais d’en profiter pour me promener de Penn Station jusqu’au Village. J’avais tout mon temps pour ça : pour retrouver les endroits ou j’aimais aller, rentrer dans les boutiques, retrouver des sensations si souvent éprouvées. Au moins je l’avais ma récompense… C’était comme si j’étais en vacances.

J’aime beaucoup me promener dans les villes, sans raison spéciale, juste pour le plaisir de découvrir ou redécouvrir des rues, leurs habitants, les commerçants, imaginer comment les uns et les autres paraissent y vivre.

Alors que j’arrivais à West Village, je me suis rappelé que c’était dans ce quartier que se trouve le studio de Merce Cunningham. Alors par pure curiosité j’y suis allé. Il fallait entrer dans un vieux building assez grisâtre et pas particulièrement accueillant.

Je montais quelques étages avant de trouver la bonne porte. L’endroit était calme, j’étais même tout seul, ce qui m’étonnait un peu. D’habitude il y a toujours des élèves qui entrent et sortent dans ce genre d’endroit, sans compter les curieux dans mon genre !

Mais maintenant que j’étais là, ça aurait été bête de faire demi tour juste devant la porte entrouverte.

Je frappais, puis entrais… Personne.

Un peu plus loin, il y avait ce qui ressemblait à l’accueil. Je m’approchais. Toujours personne. Un peu décontenancé, je m’apprêtais à repartir quand j’entendis une voix sortir d’un couloir « Yes, hello ! May I help you ?».

Ouf ! L’endroit n’était finalement pas si désert que ça ! Il était même habité par une jeune femme, pimpante et sans façon, au look indéniablement New Yorkais (je serais bien incapable d’expliquer ce que c’est le look New Yorkais, mais je sais le reconnaître. Il va falloir vous contenter de ça).

J’expliquais alors à ma jeune (et charmante) interlocutrice que j’étais de passage à N.Y. et que ma curiosité m’avait poussé jusqu’ici. Comme ça.

Elle avait l’air contente d’avoir un peu de visite, et m’expliqua alors qu’il n’y avait personne en ce moment, car c’était le 50ème anniversaire de la compagnie, et qu’ils étaient tous au Lincoln Center pour les représentations d’anniversaire.

Elle me dit « Attendez ! » et commença à ouvrir des tiroirs, des portes de placard… en farfouillant partout avant de se retourner vers moi la mine un peu déçue « Je suis désolé, je vous aurai bien offert quelque chose pour vous remercier de votre visite, mais, on n’a plus rien… ». Je ne m’attendais pas à repartir avec quoi que ce soit, alors je lui dis que ce n’était pas grave, et que je reviendrai la prochaine fois ou j’irai à New York. Autant dire à la St Glinglin…

Je commençais à partir lorsqu’elle m’interpella « Attendez ! Vous voulez visiter ? Si vous voulez, vous pouvez ? ».

Ah oui, tiens… Ca c’était la bonne idée. En un clin d’œil elle fit le tour du comptoir d’accueil, me prit par le bras et me dit « Venez, c’est par là. ». S’ensuivit la traversée d’un couloir avant d’arriver devant une porte blanche qu’elle ouvrit pour moi : « Voilà, il y en a d’autres mais ici c’est le studio principal. Je vous laisse, vous pouvez rester le temps que vous voulez. Prévenez moi quand vous partirez. »

Effectivement c’était un grand studio, le sol était recouvert d’un tapis synthétique avec la traditionnelle barre sur le côté, des éclairages et des tas de bidules audio vidéo suspendus au plafond, et face à moi de grandes fenêtres donnant sur la ville et ses grattes ciels, le tout enrobé dans la lumière orangée typique des fins de journées New Yorkaises.

Je me retrouvais là tout seul, avec les mêmes sensations qu’un passionné de football au milieu du Maracana, d’un dingue de Formule 1 seul au stand Ferrari, d’une victime de la mode enfermée pour un week end dans la boutique Chanel, d’un gosse gourmand lâché dans une usine Haribo après 3 jours de jeûne !

J’étais là, et je pouvais faire ce que je voulais.

J’hésitais pendant un moment, puis, avec la gourmandise de celui qui s’offre un délicieux sacrilège, j’enlevais mon manteau, mes chaussures pour ne pas abîmer le revêtement, et pieds nus je marchais au milieu du studio.

Tout était silencieux. Je répétais dans ma tête le dernier mouvement que j’avais appris à Paris, une fois, deux fois… jusqu’à ce que je sois assez sûr de l’enchaînement pour le refaire.

Une fois prêt, je pris une grande respiration, et hop… j’exécutais le mouvement une première fois, assez timidement. Puis plus enhardi (le building ne s’était pas écroulé, je n’avais pas entendu un « What are you doing here ? » tonitruant), une deuxième fois. Et une troisième fois, juste pour le plaisir.

Pas de musique, il n’y avait que le frottement de mes pieds sur le sol, mon souffle, et le compte en sourdine pour placer les bons gestes au bon moment : « 2,3…8 – demi tour – 1, 2, plié, et 3 relevé… 5, 6, pirouette, 7,8… cacahouète… ».

Je n’osais pas en faire plus.

Presque comme un voleur, je remis mes chaussures, sorti du studio en fermant la porte derrière moi, j'allais remercier et dire au revoir à la charmante qui attendait à l’accueil.

Elle me répondit en y ajoutant un beau sourire.

Finalement, ça valait le coup ce voyage à New York.

merce_cunnigham

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Commentaires
L
Bonjour Gilda.<br /> Cette note, ça te fait comme un avant/après ?<br /> Mais j'ai l'impression que c'est une notion que tu connais bien n'est ce pas ?<br /> Et puis... en danse... on essaie toujours.
G
moi qui (essaye de) danse(r) un peu, cette note m'a fait monter les larmes. <br /> Ce moment-là aussi doit être un "il y a avant ... et puis après".
L
> Cookie.<br /> Oui, c'était tout comme ça, pour de vrai.<br /> Euh... sur la photo ! Quelle photo ?!<br /> :)<br /> Bises Cookie !<br /> <br /> > Swahili.<br /> Ah oui, c'était "émotionnant".<br /> J'ai eu le sentiment de devenir mythique aussi !<br /> Non, en fait c'est pas vrai.<br /> J'avais plus l'impression de voler un droit que je n'avais pas, mais c'était justement ça qu'était chouette.<br /> J'en sissone encore.<br /> <br /> > Veuve Tarquine.<br /> Mais vous êtes la première à me vouvoyer sur ce blog il me semble !<br /> Ce me fait comme un frisson également !<br /> :-)<br /> <br /> > Barnabé.<br /> Bienvenue pour un tour de piste alors !<br /> Même avec des crampons en alu.<br /> Si si j't'assure !<br /> :-)<br /> <br /> > Ludecrit.<br /> Merci Lude.<br /> J'ai profité du week end.<br /> <br /> > Anne.<br /> Oui, c'est entre le fsssscchhhh (si le pied traine sur le sol), le swwwick (s'il tourne rapidement) et le plop à l'arrivée d'un saut.<br /> Chebow<br /> Blop<br /> Pop<br /> Wiiiizzzzz<br /> (comme chantaient Gainsbourg et Birkin)
A
Quel souvenir, dis moi...<br /> <br /> Merci de nous l'avoir fait partager. Du fond de mon bureau, j'ai cru entendre le bruit de tes pieds sur le sol du studio... (fffvouitch, ça fait ça comme son, à peu près, non ?)
L
beau souvenir et si joliment conté...<br /> bon week-end...
L a V i t a N u d a
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L a     V i t a     N u d a
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