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12 octobre 2004

Bel Véronique

Je ne sais pas si parmi vous, certains ont eu l'occasion d'aller à l'Opéra, pour y voir un… opéra (ben tiens !) ou un ballet. Si oui, je crois que vous serez d'accord avec moi au moins pour ceux qui n'y sont jamais allés : tentez le coup.

Je sais, vous allez me dire que l'Opéra c'est élitiste et que ça titille votre conscience sociale. Que vous n'aimez pas la musique classique et que toute note d'opéra vous fait penser immédiatement à la castafiore. Que vous ne comprenez rien à ces filles qui pirouettent sur la pointe des orteils, et ces garçons en collant moule boule comme les groupes heavy-metal de votre adolescence sauf que eux… y faisaient péter les mégawatts, pas comme ces chochottes ! Que l'Opéra c'est hyper cher, et que les rares places pas chères c'est dans le poulailler, à cuire sous les projos. Ou même, que vous n'y avez jamais pensé.

Alors, pour en finir au passage avec cette intro qui s'éternise, voilà au moins mon avis. Une fois dans votre vie, dépensez une trentaine d'euros pour aller à l'Opéra. Faites vous cette folie qui pourrait bien terminer en grand plaisir. Oubliez les idées reçues et laissez vous absorber par ce qui se passe dans cette grosse boite[1].

Enfin bon, je suis de parti pris c'est vrai ! Il faut bien avouer que je suis un peu comme ce personnage dans « Parle Avec Elle » d'Almodovar, je peux pleurer (mais sans faire ouiiiiin) devant une chanteuse ou de la danse si ça me prend. Mais bon…

Revenons à notre mouton.

Donc, vous l'avez deviné car vous êtes des petits futés, j'étais à l'Opéra ce week-end. Et j'y ai vu quelque chose de si chouette que j'ai décidé d'en parler.

Je suis allé voir un ballet, ou plutôt 3 ballets, car comme l'opéra c'est cher, chiant et élitiste on vous en donne pour votre argent. Et puis, il y a eu dans ces trois là ce ballet un peu spécial. Une « chorégraphie » de Jérôme Bel, dansé et « écrit » par Véronique Doisneau.

Après, promis j'arrêterai de vous parler de danse, parce que je pourrais le faire tous les jours et ça finirait par vous ennuyer (si c'est pas déjà le cas).

Alors, je fais les présentations rapidement : Jérôme Bel est un chorégraphe contemporain (il était l'assistant de Découflé pour la cérémonie des JO d'Albertville par exemple). Aujourd'hui – pour aller trop vite – il défend une danse non spectaculaire. Donc c'est un peu curieux de le retrouver dans le temple du ballet classique et de la « belle danse » comme on dit. Comme quoi l'endroit ne sent pas tant le rance et le renfermé.

Et Véronique Doisneau elle, elle est danseuse à l'Opéra de Paris.

Elle arrive sur scène, seule. Le plateau a été débarrassé de tout décor ou accessoire, la lumière est blanche et légère, aucune musique. Que du simple. Pas de tutu ou de costume pour elle non plus, juste un pantalon noir, un haut gris et bleu, une bouteille d'eau à la main… Sa tenue de travail de tous les jours en quelque sorte. Elle est juste équipée d'un petit micro HF qui lui permet de s'adresser à nous.

Allons bon, une danseuse qui parle sur scène ?!?!

 

Elle se présente, dit qu'elle a deux enfants, qu'elle a 41 ans, qu'elle sera à la retraite l'année prochaine, qu'elle gagne 3 500 euros par mois, et qu'on dit qu'elle ressemble à Isabelle Huppert (c'est vrai !).

Elle parle de son métier. Dis qu'elle s'est blessée quand elle était jeune, qu'on lui a enlevé un disque vertébral ce qui est très déconseillé pour danser. Qu'elle est « sujet » dans la hiérarchie de l'opéra, ce qui signifie qu'elle peut danser des rôles de soliste comme de figurants. Qu'elle n'est jamais devenue étoile, peut être à cause de sa fragilité physique, sans doute parce qu'elle n'était pas assez douée.

Elle n'a pas fait le moindre pas de danse depuis son entrée sur scène.

Mais elle en parle de la danse. Elle dit qu'elle a beaucoup aimé les ballets de Noureev, qu'elle a beaucoup aimé ceux de J. Robbins aussi ou qu'elle a beaucoup appris avec M. Cunningham. Qu'elle en a moins aimé d'autres comme M. Béjart. C'est un pan de vie et de mémoire de cet Opéra qui s'adresse à nous.

Elle nous dit qu'elle a beaucoup aimé danser La Bayadère de Noureev. Elle nous en danse un extrait, rien que pour nous, comme si on était chez elle et qu'elle nous montrait comment ça marche. Toujours pas de musique, elle chante la mélodie en même temps qu'elle danse. Puis fait la même chose avec du contemporain cette fois, un extrait de M. Cunningham. Elle s'essouffle au fur et à mesure, dévoilant ainsi tout ce que le ballet tient à cacher : les efforts quotidiens et intenses auxquels il faut consentir pour qu'il n'y ait plus que cette apparente facilité et cette virtuosité.

Personne n'ose l'applaudir, on ne sait plus si c'est du spectacle ou le témoignage d'une vie de danseuse. C'est d'ele qu'elle nous parle. Et pourtant ce n'est pas de la télé-réalité, le texte à été écrit, il ne s'agit pas d'une imrovisation, ce qui dit et montré a été pensé.
Pourtant rien de ce qui pourrait être du genre : grandeur et servitude du métier de danseuse. C'est beaucoup plus simple, sans aucune emphase, c'est juste des bribes de récits d'une vie parmi d'autres, qui pourrait être la votre ou la mienne, traitée d'égal à égal. Un peu comme un blog par exemple !

Elle reprend.

Elle dit que ce qu'elle préfère c'est la danse classique, qu'elle aurait adoré danser le rôle de Giselle. Elle ne dit pas qu'elle ne l'a pas fait, mais on comprend que son rêve ne se réalisera pas. Alors elle dit qu'elle adore voir une autre danseuse dans ce rôle. Elle s'assoit sur la scène, nous tourne le dos et alors cette danseuse vient sur scène et danse Giselle pour elle, pour nous.

Elle et nous on l'applaudit quant elle finit.

Véronique Doisneau rechausse ses pointes. Elle nous raconte que ce qu'elle aime c'est danser, que c'est ça sa vie.

Pas de trace d'une mise en scène d'une amertume, ou d'un bonheur particulier. Elle nous raconte tout ça, simplement, calmement, intimement.

Elle ajoute que dans les ballets classiques, souvent quand les étoiles sont en train de danser, la troupe se dispose autour d'eux et se fige dans des poses comme des décors humains, pour faire un écrin aux solistes. Elle dit qu'elle déteste ces moments immobiles, et que par exemple dans le Lac des Cygnes, ça lui donne envie de hurler et de quitter la scène.

Alors elle nous montre, demande à la technique d'envoyer la musique, de mettre un peu plus fort. Elle exécute tout le mouvement comme ça. Quelques pas, et une pose, qui dure, qui dure. Encore quelques pas et ça recommence. Et ainsi de suite. Elle a beau nous avoir dit que ça lui donnait envie d'hurler, le comique de la situation fait rire tout le public. A la fin, elle laisse échapper un « pffffff », et écourte la dernière pose en haussant les épaules.

 

Finalement elle revient vers le bord de la scène, et nous dit : « ce que j'aime c'est entendre les applaudissements du public à la fin du spectacle, quand on salue le public comme ça (elle salue), ou comme ça (elle salue autrement), ou aussi comme ça (elle s'incline devant le parterre). »

Le rideau descend. Tous les applaudissements sont pour elle.



[1] Aller, je suis même prêt à une (petite) folie. Du genre inviter un / une bloggeur (bloggueuse) à l'Opéra la prochaine fois que j'y vais. Chiche !?

 

Agence Magnum / E.Lessing / Opéra de Paris

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Commentaires
L
> Tina 90.<br /> Voilà une note qui n'est plus toute neuve. Mais je garde un très bon souvenir de ce spectacle là. Assez en marge du "beau classique" qu'on s'attend à voir dans ce lieu là, et pourtant très émouvant.<br /> Y aller quand je veux à l'opéra, je n'irai pas jusque là, mais disons que c'est un des beaux cadeaux que j'aime bien m'offrir au nez et à la barbe de mon banquier.<br /> J'espère que tu auras l'occasion de te faire aussi ce genre de cadeau.
T
Merci Bel Véronique pour ce beau récit, il m'a permis de voyager un peu, d'y être un peu, et aussi de savoir que ça existe, une parole de danseuse sur la scène de l'opéra, une parole de femme. En te lisant, je n'ai pas de regret d'avoir raté ces moments d'émotion, que le bonheur de savoir que ça existe. Profite bien de l'opéra, puisque tu as la chance d'y aller quand tu veux ! Et merci.
A
J'ai découvert tardivement l'opéra. Le lieu. La dernière fois, j'y suis allé avec ma fille. A Bastille pour la flute enchantée. C'était la mise en scène de Bob Wilson, assez conceptuelle, pas toujours lisible, mais la magie du lieu a joué. Comme ma fille connaissait l'histoire elle s'est laissée porter par la musique, par le chant, par l'ensemble. Elle était sous le charme.<br /> Si les ballerines anorexiques tendent à disparaître, à l'opéra lyrique ce sont les femmes genre Castafiore qui se font rares.
L
C'est vrai, l'endroit compte beaucoup aussi. On est déjà dans le spectacle avant même qu'il ne commence, à regarder le théâtre, les gens qui arrivent et s'installent, les musiciens qui s'accordent et tout et tout.
L
D'accord avec toi.<br /> Mais je remarque que le public est très diversifié en fait. Bien sûr il y avait les prout prout ma chère, mais aussi des gens très diversifié. J'ai même vu une japonaise en kimonon traditionnel en train de boire du champagne à l'entracte. Et derrière moi il y avait deux jeunes femmes de 20-25 ans, malvoyantes toutes les 2, qui étaient venus "voir" de la danse. J'ai regretté de ne pas leur avoir plus parlé pour savoir ce qu'elles ressentaient du spectacle du fait de leur handicap.
L a V i t a N u d a
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