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8 octobre 2004

Entering New York

Suite et fin de : ici

J'ai rencontré E. chez une amie. Quelques mois après, avec tout un petit groupe nous sommes partis en vacances ensemble un été. A la rentrée, on se voyait souvent. J'aimais bien organiser des repas chez moi. Avoir du monde à la maison me faisait du bien et m'évitais de déprimer.

E. venait souvent, et si la soirée durait longtemps il restait dormir à la maison. Je l'aimais bien, et petit à petit on s'est vu tous les deux plus souvent. Un soir, ou on dînait tous les deux chez moi, il était tard et je lui ai dit « On va se coucher ». Alors il m'a accompagné dans ma chambre sans dire un mot. On a fait l'amour et après on ne s'est plus quitté.

Il aimait être avec moi, il me rassurait. De la manière la plus simple qui soit on aimait être ensemble, Je suis tombée amoureuse de lui comme ça.
Quant il est parti à l'armée, je me souviens qu'il était d'abord rentré chez ses parents pour sa première perm'. Il était arrivé tard et n'avait pas voulu me réveiller parce que je travaillais le samedi matin. Après cet épisode il est toujours venu chez moi.

A son retour on a vécu ensemble, c'était normal. On en avait envie. E. terminait sa licence d'anglais et moi j'avais mes remplacements à faire dans les classes de ZEP du val de marne.
Notre vie était calme, heureuse, simple. J'avais quelqu'un qui faisait attention à moi, qui était là, et qui riait en me disant qu'il m'aimait comme ça, toutes les fois ou je me traitais de sale gosse.

Un jour une amie m'a donné une annonce. Le Lycée Français de New York cherchais des instits. J'ai tout de suite voulu tenter ma chance, c'était l'occasion de changer enfin vraiment de vie.
Quand j'en ai parlé à E. il m'a dit « Ce serait super de pouvoir partir là-bas ». Au fond rien ne nous retenait vraiment dans ce coin de banlieue qui était le notre depuis longtemps. Au fond, il y avait une espèce de pesanteur à vivre ici qui paraissait nous poursuivre.

Je me suis renseignée, mais j'étais la seule à pouvoir profiter d'un visa, et il n'y avait pas d'échange avec une fac à New York pour E. Mais il savait que c'était important. Ca devait l'être pour lui aussi. Il aurait sans doute aimé être à ma place. Il m'a juste dit : « Et nous deux, on fait quoi ? ».
Je ne savais pas quoi lui dire. De toute façon tout cela me paraissait impossible à réaliser. Alors je n'ai rien dit, et spontanément E. à ajouter « Il faut tenter le coup ».

Il m'a fait mon CV en anglais, il valait mieux que ça soit lui. Il m'a aidé à préparer l'entretien qui devait avoir lieu à Paris. Et le grand jour est arrivé. Tout s'est bien passé, et on m'a proposé un poste pour au moins 1 an. Quant on a reçu le courrier à la maison on était tous les deux contents, et puis E. m'a dit « Et nous, on va faire comment ? ».
J'ai éludé la question, on avait quelques mois devant nous pour tout préparer et j'avais besoin de lui. J'avais besoin qu'il me rassure aussi. J'avais peur de partir malgré tout.

E. s'est occupé de beaucoup de choses pour moi. Quand je lui disais « Je sais, je suis une sale gosse », il ne riait plus, mais me regardait avec un sourire en coin, comme s'il attendait quelque chose.

C'est peut être à ce moment que j'ai lentement commencé à ne plus l'aimer finalement.
Il était trop gentil, et avec cette gentillesse il me gardait prisonnière plus sûrement que par n'importe quel autre moyen. Chaque chose qu'il faisait pour moi me libérait de lui en même temps qu'elle m'enfermait. Cette protection qu'il m'offrait ne faisait que m'exposer à moi-même. Je n'aimais pas ça, et je ne pouvais pas m'empêcher de lui en vouloir.
Je déteste faire de la peine.

Je ne savais pas comment en sortir, alors j'y pensais le moins possible.

Peut-être j'étais malheureuse de l'aimer encore.

L'été est arrivé. On a fait un grand voyage au Maroc, et puis au retour après le déménagement et les derniers préparatifs il est parti à New York. Je l'ai rejoins une semaine plus tard. On logeait dans un bel appartement au dessus de l'East River qu'il avait trouvé par l'intermédiaire de ses copains de fac.
On avait plein de choses à faire : trouver un logement, récupérer ce que j'avais emporté de France, régler toutes les histoires de paperasse, acheter un minimum de meubles et tout ça...
Mais on avait du temps pour en profiter aussi. E était content d'être à NY. Ca nous faisait rire de voir des touristes et des américains venir lui demander ou était telle rue, ou tel magasin, ou tel musée comme s'il vivait ici.

Quant est arrivée la date de son retour en France, on avait pu finir tout ce qu'il fallait. Je me sentais rassurée.
Mais plus les jours passaient, plus la tension de devoir nous séparer devenait palpable entre nous.
Je me sentais de plus en plus mal à l'aise. Mais j'avais toute une vie nouvelle à entamer et tant de choses à faire, alors je m'y réfugiais.

E a repris l'avion. Et moi je me suis lancée dans mon existence toute neuve, trop heureuse de rompre avec mon passé, toute engagée dans tout ce que j'avais à découvrir, à vivre et apprendre au quotidien.

Chaque coup de fil à E. me ramenait finalement vers ma vie d'avant, et je n'y tenais pas. Mes amis qui venaient me voir à NY me disaient de parler à E. Mais qu'est ce que je pouvais bien dire ?
Tout ce que je sais c'est que je n'aime pas faire de la peine. Et que E. me forçait à lui en faire, et pire qu'il me forçait à m'en faire.

Je lui en voulais parce qu'il me connaissait mieux que quiconque. Qu'il savait ce que signifiait mon silence. Alors à quoi bon lui dire quelque chose qu'il savait déjà.

E. est revenu à NY. On était heureux de se retrouver, d'être ensemble. C'était comme avant, comme quand on s'était rencontré. E. se montrait patient comme d'habitude mais parfois d'un seul coup il pouvait devenir très distant. Pour la première fois il s'est mis en colère après moi.
Je savais bien ce que ça voulait dire, alors un soir j'ai fini par lui dire que c'était peut-être mieux qu'il ne m'attende plus.

On s'est séparé comme ça.
J'ai vu le lendemain qu'il se sentait soulagé, et moi aussi un peu. On a passé pleins de bons moments ensemble jusqu'à ce qu'il reparte en France.


Ensuite il s'est passé beaucoup de choses pour lui et moi. On s'est revus aux USA et en France. Tout ça s'est loin. Le temps a passé, je me suis mariée aux Etats-Unis, j'ai eu deux enfants. J'aime mon mari.

Il me dit souvent que je suis une sale gosse.

La dernière fois que j'ai vu E. je l'ai trouvé changé. Il est différent sans que je sache bien vraiment en quoi. Peut-être cette façon de regarder dans les yeux longuement que je ne lui connaissais pas. Pourtant ma vie a plus changé que la sienne. C'est bizarre ce décalage.

Comme d'habitude quant on se retrouve, je parle, je parle, je n'arrête pas de parler. Je sais que je crois que je saoule le tout le monde, mais on ne se voit pas souvent… A un moment, je m'en suis excusé et il m'a regardé.

J'ai eu l'impression qu'il savait quelque chose que j'ignore. Il a essayé de m'expliquer, mais j'ai pas très bien compris.
Souvent ça m'énerve de toute façon. J'aime de moins en moins qu'on se mêle de la façon dont je vis. C'est mes affaires. Mais il m'a juste dit qu'il ne me sentait pas tranquille, comme si je courrais toujours.
Je lui ai dit, « Oui, c'est les enfants, toutes ces choses à faire, mon travail, j'ai des nouvelles responsabilités... tu sais... Et S. n'est pas toujours facile à vivre, même si je suis heureuse avec lui... ».

Alors il a juste ajouté : « Tu as toujours peur de faire de la peine aux gens. » et m'a embrassé sur la joue.

 

Agence Magnum / Raymond DEPARDON / Miroir NY.

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Commentaires
L
Comment dire... Je suis bien sûr touché par vos commentaires ici et toute l'attention que vous y avez porté.<br /> > Samantdi.<br /> Ce qui m'étonne avec le recul, c'est de voir comment nos 2 "lâchetés" (comme dit I.K) réciproques (pour moi ici c'est pas péjoratif), se sont aussi rencontrées et ont finalement scellé quelque chose d'impossible entre nous.<br /> > Barnabé.<br /> C'était pas si dur que ça finalement. Sans doute parce que le temps est passé, et que j'ai vécu d'autres histoires qui m'ont permis de construire ce regard sur celle-là.<br /> Et puis la vie est pleine de nos remerciements, ce n'est pas idiot, pas bête (quel ton sérieux je prends tout d'un coup ! :-) ). C'est assez pur comme émotion de pouvoir remercier simplement.<br /> > Anastomoses.<br /> Tu as raison, le temps est passé. Quand ça s'est produit je n'avais pas la conscience de tout ça. Je n'en ai jamais voulu à C. Mais je m'en suis voulu que cette situation prenne corps.<br /> <br /> Encore merci à vous tous.
A
Il m'a fallu m'y reprendre à plusieurs fois pour lire ton texte. J'étais désarçonné par ce changement de point de vue. Quand j'ai compris de quoi il en retournait, j'avais encore mes questions. <br /> C'est évident que tu ne peux te mettre à sa place, mais jamais ton texte ne fait exercice de style pour autant. Il cherche à comprendre l'autre dans une position douloureuse, comment expliquer la rupture en termes non polémiques quand elle n'est pas de notre décision ? C'est une belle réussite. On sent que le temps est passé aussi depuis cet épisode de ta vie...
B
J'ai commencé à lire to texte au boulot hier soir mais je ne me sentais plus capable de l'apprécier au niveau qu'il méritait.<br /> D'autant que je ne compris pas tout de suite ce que tu faisais.<br /> <br /> Ce texte est magnifique, cet exercice n'a pas du être facile à écrire. Je ne sais pas trop quoi te dire sans paraître un peu idiot.<br /> Je suis un peu soufflé.<br /> Je reprends les idées de JJ de part les émotions que tes mots transmettent.<br /> Je te remercie même si c'est un peu bête aussi.
S
Cela me donne envie de recopier un peu du texte d'Imre Kertesz : "Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas"(Actes Sud, Babel p.136) <br /> <br /> "Ma femme dit qu'en secret, au fond de son âme, elle s'était longtemps crue lâche, mais maintenant elle savait, et les nombreuses années passées avec moi lui avaient été d'un grand secours, maintenant donc elle savait qu'elle voulait simplement vivre. Elle avait de la peine pour moi, elle regrettait surtout que sa peine fût si impuissante; mais elle avait fait tout son possible pour me sauver (et moi je me taisais, bien que son vocabulaire me surprît)."
L
Merci Jean Jacques, c'est gentil.
L a V i t a N u d a
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L a     V i t a     N u d a
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