Le bus me redescend de San Cristobal de Las Casas
Le bus me redescend de San Cristobal de Las Casas vers Palenque après quelques jours passés dans cette ville devenue célèbre depuis que le Sub-Commandante Marcos ait il y a quelques années de ça- conquis la ville en signe de rébellion indienne.
J'ai passé quelques jours là-bas et y ai découvert beaucoup de choses : Il me faudrait plusieurs notes pour en raconter l'essentiel.
Mais là, c'est le départ.
J'ai pris un billet dans un bus de 1ère classe. Autant dire le bus de luxe, le bus de grande ligne, le bus transformé en glacière parce que la clim' est toujours-toujours-toujours poussée à fond.
Mais là, le chauffeur s'est un peu calmé, à la demande des quelques voyageurs Mexicains (si c'est pas des Mexicains qui demandent généralement tu peux toujours attendre
). C'est qu'il ne fait pas si chaud que ça dans les montagnes du Chiapas. L'air est frais, et en ce moment, chaque jour, une pluie violente s'abat sur la forêt, passe à travers les épais feuillages, avale la route déjà à moitié mangée par les nuages, fait déborder les torrents et détrempe la terre.
Le bus désescalade lentement la route.
De temps en temps on croise une voiture partie en tête à queue dans un lacet. Ou une voiture de police. C'est selon.
Les voitures de police Mexicaine, c'est comme un reste de western spaghetti. Gros modèles « yanki », avec peinture marron et or pour impressionner le « compadre », gros pare-buffle à l'avant dont l'usage doit rarement concerner les buffles. Au Mexique, il y a inflation de « policias » de toutes sortes, et dans cette région il y a l'armée en plus ! AZLN oblige.
Elle est plus ou moins active cette rébellion, mais toujours permanente. La preuve en étant donnée par une présence de campements militaires plus importante que ce que j'ai pu voir ailleurs.
Pourtant la population locale indienne ne paraît pas bien dangereuse. Ce sont surtout de petits fermiers (oui, ils sont pas très grands les desendant locaux des Mayas), très pauvres, et très peu parlent l'espagnol. Ils ont l'air d'être bien plus occupés à survivre qu'à porter la « Revolucion », mais bon, l'un n'empêche pas l'autre et ce n'est sûrement pas à un touriste comme moi qu'ils vont en dire le plus.
Le bus s'arrête à une station service pour faire le plein.
Rare point d'arrêt un peu aménagé sur cette partie de la route, autant dire que la station service est devenue une sorte de micro-village à elle seule.
On peut s'y restaurer.
Pour les plus riches ce sera dans l'équivalent d'un "restoroute" local. Une petite bâtisse en dur attenante aux pompes, dotée d'un resto pas plus grand que ça et de toilettes (très important pour le confort physique et moral du voyageur). Pour les autres, - les pas riches - des marchands ambulants d'épis ou de galette de maïs vendues trois fois rien vont vous caler l'estomac d'un truc une fois plus solide que le ciment, et heureusement plus digestible aussi.
Face à la station service, un petit village s'est improvisé dans la forêt, fait de morceaux de bois, de cageots, et de tôles ondulées, de récipients de ferraille pour y stocker l'eau de pluie
Le luxe n'a pas encore franchi l'autre côté de la route.
Il n'y a que les vieux, les plus jeunes et les femmes. Il pleut toujours. J'imagine que les premiers conquistadores qui sont passés par là ont dû mourir rouillés dans leurs cuirasses, tellement l'humidité y règne en maître.
Pendant que tout le monde est parti assiéger les toilettes, je traverse la route, et me retrouve au bord du village. Je me fais discret, mais c'est pas la peine, on ne fait pas trop attention à moi.
A part quelques femmes qui sont occupées, et deux ou trois petits gamins qui jouent, tout le monde est regroupé un peu plus loin. Je me dis : « Tiens, une réunion du conseil municipal ? ». Je m'approche un petit peu. Bouh le curieux !
J'aperçois une sorte de toit fait avec une bâche en plastique transparente, qui tient par miracle, fixée à 2 arbres et 2 poteaux de bois plantés dans le sol. L'eau s'accumule en formant une poche, qui régulièrement vide son trop plein d'un côté ou de l'autre.
Tout le monde, réuni en demi cercle, regarde dans la même direction. Et je finis par distinguer ce qu'ils regardent
une télévision.
Elle est installée là comme un cinéma itinérant sur la place du village. Posée sur ce qui fut autrefois une vague table et qui ne demande plus qu'à s'écrouler.
Mais c'est quand même une télé de taille respectable !
Je suis un peu inquiet, parce que la pluie battante est à peine barrée par la bâche en plastique. Vu que ce n'est pas un modèle étanche, la télé devrait imploser sous peu. Visiblement, ça n'inquiète que moi. Un mélange hasardeux de cordons et de rallonges la relie jusqu'au poteau électrique, ou un loustic est venu pirater le réseau.
Les enfants en haillons, pieds nus dans la boue
Les vieux avec leur chapeau de paille
Les femmes avec leur tunique blanche et turquoise
Tout le monde est là, captivé par la boite à image.
Je m'approche encore un peu, j'ai envie de savoir ce qu'ils regardent.
Et je vois not' Gégé Depardieu national, en plein épisode du Comte de Monte Cristo, et avec une voix espagnole que je ne lui connaissais pas.
J'ai envie de rire mais je me retiens. Tous là, sous la pluie, aussi miséreux qu'ils sont Ils ont l'air tellement absorbés que j'ai peur de les déranger. Comme on a peur de réveiller un enfant qui dort. Le bus va repartir, et moi aussi. Je m'éloigne.
Agence Magnum / Paul Fusco / Chiapas, enfants indiens.