Cellule de Soutien Psychologique
A chaque catastrophe annoncée, et il nen manque pas, dans nos radios, nos télés, nos journaux, il y a désormais cette incantation magique pour clore le reportage : « Les victimes ont été immédiatement prises en charge par une cellule de soutien psychologique ».<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />
Moi javoue, je me demande ce que cest une cellule de soutien psychologique et comment ça marche ?
Ben oui !
Imaginez.
Vous sortez à peu près en bon état (vivant au moins) dun accident dautocar, dune prise dotages, dun hold-up, dun déraillement de train, dun week-end avec Sarkozy
Complètement sous le choc, vous vous frayez un passage vers la lumière et les sauveteurs, lesprit totalement stupéfait, dans un état second, uniquement mû par linstinct de conservation, et là
Et là
Et là vous voyez débarquer une brochette de gusses en blouse blanche, avec un brassard « unité de soutien psychologique ». Et vous voilà embarqué dans une camionnette à lintérieur repeint pastel. Peut être même quil y aura un canevas de biche buvant à létang accroché à une cloison. Entouré de trois psychologues (cest important quils soient 3), dûment assermentés, qui vous ont escortés jusque là. On vous fait asseoir gentiment sur une chaise.
Mais cest pas tout ça. Cest que vous nêtes pas la seule victime. Elles affluent par dizaines, et lunité de soutien psychologique a du pain sur la planche.
Alors gentiment (très), vous êtes invités à parler.
Allez y !? Vous avez dû avoir la trouille de votre vie, racontez !
Quand le wagon a explosé, ça a dû faire un choc terrible ? Racontez.
Tous ces morts couverts de sang. Affreux ! Racontez.
Cet otage exécuté devant vos yeux. Racontez.
Votre femme, restée sous les décombres. Racontez.
Mais quest ce que vous pouvez raconter ? A peine conscient que vous faites encore partie du monde des vivants, vous ne pouvez rien raconter.
Vous annonnez péniblement deux, trois syllabes.
La cellule de soutien psychologique vous encourage : « allez-y, on est avec vous, ça va aller ».
La cellule de soutien psychologique, compatissante, comprend la situation. On vous donne deux, trois calmants. On vous glisse une carte dans la main avec ces mots : « Venez nous voir ici, si vous ne vous sentez pas bien. »
Et on vous raccompagne au dehors : « Excusez-nous hein ! Vous savez, il y encore pleins de gens qui doivent raconter. Aller ! Au revoir ! ».
Une ambulance vous ramène chez vous. Vos proches sont là. Un médecin de lunité de soutien est venu les rassurer. Lambulancier vous aide à entrer chez-vous. Il annonce : « Ca va aller, vous savez, il a été pris en charge par une unité de soutien psychologique. Des vrais pros ».
Vous ne pouvez rien manger, ni boire, ni dormir. Vous vous demandez encore ce qui a bien pu vous arriver. Ca sest passé si vite, que vous ne savez pas encore ou vous êtes. Le médecin vous fait une piqûre. Cette fois vous dormez pour de bon.
Ce nest que quelques jours plus tard que vous commencez à émerger.
Vous pouvez vous mettre à table, et dîner avec votre famille. La télé est allumée, elle est toujours allumée de toute façon.
Encore une catastrophe aux infos. La même, une autre ? Vous avez du mal à faire la différence de toute façon. Et à la fin du reportage, la phrase magique : « une unité de soutien psychologique a été envoyée sur les lieux ».
Un frisson vous transperce. Ca vous revient dun seul coup lunité de soutien psychologique.
Une drôle didée vous vient à lesprit. Et si cette unité, elle servait surtout à conserver lunité des auditeurs, des téléspectateurs, du public. A les soutenir eux, à les rassurer, à leur dire : « Ne vous inquiétez pas, on sest occupé de tout. Tout va sarranger. En tout cas, quoiquil arrive, ce nest pas votre affaire. Lunité de soutien psychologique a tout arrangé au mieux de ce quil est possible ».
Vous lavez senti immédiatement en revoyant vos proches, votre famille, vos amis, vos collègues
Ils avaient ce regard embarrassé et inquiet de ceux qui se demandent comment sy prendre dans ce genre de situation.
Jusquà ce quil y en ait une personne bien intentionnée pour rompe la glace : « Heureusement, il a été tout de suite pris en charge par une cellule de soutien psychologique. Des gens comme ça !! (À ce moment, vous pensez à David Douillet dun seul coup, sans savoir pourquoi). Ils nous ont prévenu que ça allait sûrement prendre du temps. Vous pensez, ils ont lhabitude. Avec tout ce quils doivent voir. Moi, tiens, je pourrais pas faire ce genre de boulot
bla bla
bla bla ».
Vous nécoutez déjà plus la tirade de la personne bien intentionnée.
Dun seul coup vous avez limpression quon vous a enlevé les questions et les réponses de la bouche. Plus rien à dire.
Les mines rassurées de lauditoire vous le confirme. Ils sont soulagés. Toujours embarrassés mais soulagés. Eux aussi, cest un peu comme si ils avaient vu une unité de soutien psychologique.
Vous confirmez dun vague « ça va aller, ça va aller ». Et vous tentez de reprendre votre vie quotidienne. Rien de tel paraît-il.
Et ça marche. Il y a juste ces cauchemars que vous faites chaque nuit. Et puis vous avez pris (ou perdu) 10 kilos en un mois. Et tiens, vous perdez vos cheveux aussi. Ca vous énerve un peu. Cest comme vos gosses, vous ne pouvez pas les supporter en ce moment. Et parfois aussi, vous vous mettez à pleurer tout seul, sans raison, sans savoir pourquoi. Dun seul coup.
Un jour justement, en cherchant un kleenex dans votre poche, votre main attrape une carte de visite. Cest celle que vous avait laissé un membre de la cellule de soutien psychologique.
Vous la lisez attentivement.
Cest vrai que quand même, ça va pas très fort. Ce serait peut être bien de voir quelquun pour vous faire aider. Vous lisez la carte de visite à nouveau.
Parlez. Racontez. Dites-nous.
Tout les souvenirs de ce qui est arrivé vous reviennent dun coup.
Vous remettez la carte dans votre poche.
Peut être avez-vous avez peur de lunité de soutien psychologique.
Roy Lichtenstein / I'd rather sink than call Brad for help.