Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L a     V i t a     N u d a
Derniers commentaires
Archives
22 septembre 2004

Cellule de Soutien Psychologique

A chaque catastrophe annoncée, et il n’en manque pas, dans nos radios, nos télés, nos journaux, il y a désormais cette incantation magique pour clore le reportage : « Les victimes ont été immédiatement prises en charge par une cellule de soutien psychologique ».<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />

Moi j’avoue, je me demande ce que c’est une cellule de soutien psychologique et comment ça marche ?

Ben oui !
Imaginez.

Vous sortez à peu près en bon état (vivant au moins) d’un accident d’autocar, d’une prise d’otages, d’un hold-up, d’un déraillement de train, d’un week-end avec Sarkozy…
Complètement sous le choc, vous vous frayez un passage vers la lumière et les sauveteurs, l’esprit totalement stupéfait, dans un état second, uniquement mû par l’instinct de conservation, et là…
Et là…

Et là vous voyez débarquer une brochette de gusses en blouse blanche, avec un brassard « unité de soutien psychologique ». Et vous voilà embarqué dans une camionnette à l’intérieur repeint pastel. Peut être même qu’il y aura un canevas de biche buvant à l’étang accroché à une cloison. Entouré de trois psychologues (c’est important qu’ils soient 3), dûment assermentés, qui vous ont escortés jusque là. On vous fait asseoir gentiment sur une chaise.
Mais c’est pas tout ça. C’est que vous n’êtes pas la seule victime. Elles affluent par dizaines, et l’unité de soutien psychologique a du pain sur la planche.
Alors gentiment (très), vous êtes invités à parler.
Allez y !? Vous avez dû avoir la trouille de votre vie, racontez !
Quand le wagon a explosé, ça a dû faire un choc terrible ? Racontez.
Tous ces morts couverts de sang. Affreux ! Racontez.
Cet otage exécuté devant vos yeux. Racontez.
Votre femme, restée sous les décombres. Racontez.

Mais qu’est ce que vous pouvez raconter ? A peine conscient que vous faites encore partie du monde des vivants, vous ne pouvez rien raconter.
Vous annonnez péniblement deux, trois syllabes.
La cellule de soutien psychologique vous encourage : « allez-y, on est avec vous, ça va aller ».
La cellule de soutien psychologique, compatissante, comprend la situation. On vous donne deux, trois calmants. On vous glisse une carte dans la main avec ces mots : « Venez nous voir ici, si vous ne vous sentez pas bien. »
Et on vous raccompagne au dehors : « Excusez-nous hein ! Vous savez, il y encore pleins de gens qui doivent raconter. Aller ! Au revoir ! ».
Une ambulance vous ramène chez vous. Vos proches sont là. Un médecin de l’unité de soutien est venu les rassurer. L’ambulancier vous aide à entrer chez-vous. Il annonce : « Ca va aller, vous savez, il a été pris en charge par une unité de soutien psychologique. Des vrais pros ».

Vous ne pouvez rien manger, ni boire, ni dormir. Vous vous demandez encore ce qui a bien pu vous arriver. Ca s’est passé si vite, que vous ne savez pas encore ou vous êtes. Le médecin vous fait une piqûre. Cette fois vous dormez pour de bon.

Ce n’est que quelques jours plus tard que vous commencez à émerger.
Vous pouvez vous mettre à table, et dîner avec votre famille. La télé est allumée, elle est toujours allumée de toute façon.
Encore une catastrophe aux infos. La même, une autre ? Vous avez du mal à faire la différence de toute façon. Et à la fin du reportage, la phrase magique : « une unité de soutien psychologique a été envoyée sur les lieux ».
Un frisson vous transperce. Ca vous revient d’un seul coup l’unité de soutien psychologique.
Une drôle d’idée vous vient à l’esprit. Et si cette unité, elle servait surtout à conserver l’unité des auditeurs, des téléspectateurs, du public. A les soutenir eux, à les rassurer, à leur dire : « Ne vous inquiétez pas, on s’est occupé de tout. Tout va s’arranger. En tout cas, quoiqu’il arrive, ce n’est pas  votre affaire. L’unité de soutien psychologique a tout arrangé au mieux de ce qu’il est possible ».

Vous l’avez senti immédiatement en revoyant vos proches, votre famille, vos amis, vos collègues… Ils avaient ce regard embarrassé et inquiet de ceux qui se demandent comment s’y prendre dans ce genre de situation.
Jusqu’à ce qu’il y en ait une personne bien intentionnée pour rompe la glace : « Heureusement, il a été tout de suite pris en charge par une cellule de soutien psychologique. Des gens comme ça !! (À ce moment, vous pensez à David Douillet d’un seul coup, sans savoir pourquoi). Ils nous ont prévenu que ça allait sûrement prendre du temps. Vous pensez, ils ont l’habitude. Avec tout ce qu’ils doivent voir. Moi, tiens, je pourrais pas faire ce genre de boulot… bla bla…bla bla ».
Vous n’écoutez déjà plus la tirade de la personne bien intentionnée.
D’un seul coup vous avez l’impression qu’on vous a enlevé les questions et les réponses de la bouche. Plus rien à dire.
Les mines rassurées de l’auditoire vous le confirme. Ils sont soulagés. Toujours embarrassés mais soulagés. Eux aussi, c’est un peu comme si ils avaient vu une unité de soutien psychologique.
Vous confirmez d’un vague « ça va aller, ça va aller ». Et vous tentez de reprendre votre vie quotidienne. Rien de tel paraît-il.

Et ça marche. Il y a juste ces cauchemars que vous faites chaque nuit. Et puis vous avez pris (ou perdu) 10 kilos en un mois. Et tiens, vous perdez vos cheveux aussi. Ca vous énerve un peu. C’est comme vos gosses, vous ne pouvez pas les supporter en ce moment. Et parfois aussi, vous vous mettez à pleurer tout seul, sans raison, sans savoir pourquoi. D’un seul coup.

Un jour justement, en cherchant un kleenex dans votre poche, votre main attrape une carte de visite. C’est celle que vous avait laissé un membre de la cellule de soutien psychologique.
Vous la lisez attentivement.
C’est vrai que quand même, ça va pas très fort. Ce serait peut être bien de voir quelqu’un pour vous faire aider. Vous lisez la carte de visite à nouveau.
Parlez. Racontez. Dites-nous.
Tout les souvenirs de ce qui est arrivé vous reviennent d’un coup.
Vous remettez la carte dans votre poche.
Peut être avez-vous avez peur de l’unité de soutien psychologique.

Roy Lichtenstein / I'd rather sink than call Brad for help.

Publicité
Commentaires
B
Rien qu'un fantasme classique, rien de plus.<br /> J'évite tant que possible les hopitaux aussi. Rassures toi.
L
>Barnabé.<br /> C'est vrai qu'avec marie Jo ça fait encore plus peur. Là, tout de suite, d'un seul coup, je pense aussi à Nelson Montfort.<br /> Aaaaaaaaaaaaaaargh !<br /> Pour le reste, c'est bien vu pour le "quelque chose de connu". Un de ces jours j'en parlerai peut être ici dans ce blog.<br /> Quant aux infirmières... Mes souvenirs auraient plutôt tendance à déclencher un réflexe de fuite. (A part les infirmières de l'hopital du val de grâce). Tu as dû avoir plus de chance que moi !
L
>Samantdi.<br /> En fait je ne sais pas comment ça se passe. Et justement, ça m'étonne que cette phrase systématique dans les commentaires ne soit précise sur qui, quoi, comment ça se passe.<br /> Je pense que cette phrase vient dire qu'en fait, nous ne souhaitons rien entendre DE PLUS de ces horreurs. Tout simplement par souçi de protection.<br /> <br /> Ce que tu dis sur AZF est vrai. Le besoin de parler existe. Je l'ai constaté avec mes amis Toulousains également.<br /> Mais il y a une différence entre la parole qui revient dans une forme de répétition, et qui en quelque sorte signe la persistance d'un malaise.<br /> Et la parole qui petit à petit dégage la personne qui s'est enfermée dans son traumatisme.<br /> <br /> Pour cela, je pense qu'il faut donner du temps et de l'écoute aux gens qui ont subi ce genre de choc. Que cela peut parfois nécessiter une période de silence nécessaire pour certains.<br /> Du coup, je me demande en quoi "l'urgence" est compatible avec le "psychologique".
L
>Anne.<br /> Je crois que tout dépend du contenu de la dite cellule. Par exemple, voici ce que j'ai trouvé sur un site qui "vend" ce genre de prestation.<br /> Je cite tel quel : <br /> "Pour l?entreprise, notre intervention se traduit par une réduction de l?absentéisme et par des gains de productivité ; pour les salariés, par une amélioration de la santé et de leur bien-être au travail.<br /> Cette démarche de protection de la santé des salariés, réconciliée avec la performance de l?entreprise, fait partie du développement humain durable.<br /> Nous vous proposons de mettre en place un outil de management qui permet une reconnaissance et un soutien à l?égard des personnes ayant vécu une situation difficile."<br /> <br /> Sans commentaire...
B
Deux alternatives à l'existence des unités de soutien psy:<br /> 1. les journalistes sont déguisés en blouses blanche et font une interview au lieu de se soucier de vous (d'où, le 'racontez, racontez').<br /> <br /> 2. Penser à Marie-Jo Pérec plutôt qu'à David Douillet, et là, pour le coup, on a vraiment peur.<br /> <br /> <br /> Ce qui est inquiétant dans ta note, c'est l'impression de nous faire vivre quelque chose de connu ou vécu.<br /> <br /> Note positive:<br /> Je crois que j'aurai bien besoin d'une cellule aussi (avec des infirmières qui n'ont rien en dessous des blouses).
L a V i t a N u d a
Publicité
L a     V i t a     N u d a
Publicité