Le Peer reste à venir ?
(suite de la note d'hier).
L’invention du robinet musical : la douche froide ?
Toi l’internaute tu serais donc le seul responsable du bordel économique créé par cette lutte pour le pouvoir culturel et tous les moyens possibles d’en tirer un maximum de fric. Ben tiens !
C’est toi qui menace de couler les industriels du disque en téléchargeant gratos le dernier U2, le dernier Britney Spears, 50Cents, ou Daft Punk ! Vilain ! Comme si la technologie te le permettant était apparue par génération spontanée !
Mais s’il n’y avait que la technologie !
Pour beaucoup d’internautes la musique est là, partout, et il n’y a qu’à se baisser pour la ramasser gratuitement. Et il n’y a rien de mal à cela.
Mais comment en est on arrivé là ?
On en est arrivé là parce que ces mêmes industriels du disque n’ont eu de cesse de fabriquer un robinet à musique tiède, et à donner à croire que la musique, au fond ça ne vaut pas grand-chose.
Commençons par en finir avec ces malheureuses "majors" dont la survie serait suspendue au seul succès planétaire du dernier Cd de « truc » ou « bidule ». C’est même pô vrai !
Ce qui est un peu plus vrai c’est que toutes les multinationales du disque n’ont eu de cesse de devenir de plus en plus grosses en rachetant des labels à tour de bras. Parce que bien sûr quand on veut devenir un disquaire « worldwide » c’est qu’il faut en avoir des artistes et des titres à mettre sur le marché. Bon.
Sony ou Universal ce sont des tas de labels rachetés, dont elles gardent précieusement le nom, la marque, pour l'image qu'elle conserve auprès des amateurs (quel amateur de classique ne connait pas Decca, ou Deutsche Gramophon, quel amateur de reggae ne connait pas Island, de rap Def Jam, etc...). Autant de cases pour eux permettant aussi de ranger leurs nouveaux talents et de les signaler à leurs "cibles clients".
Dans ce métier comme dans d’autres on a eu droit à des rachats et fusions en tout genre pour que les plus gros bouffent les plus petits. Ce coup-ci, c’est de la concentration horizontale on appelle ça. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des gros balaises de capitalisation boursière qui pèsent très lourd et des petits labels indépendants qui ont grosso modo le choix entre rester trop petit pour intéresser les gros, ou grossir et être rachetés à leur tour. Et les conséquences de ce mouvement ne sont pas qu’innocentes.
D’abord ce qu’il faut savoir c’est que l’industrie du disque ne gagne pas tant d’argent que cela avec les nouveaux artistes (en dehors des gros succès des stars planétaires genre M.Jackson ou Madonna). Les nouveaux artistes coûtent cher tout simplement et réclament beaucoup d’effort, de temps et de travail de la part de cette industrie. Ce qui rapporte beaucoup, beaucoup de sous c’est le catalogue. Aaah le catalogue ! C’est merveilleux le catalogue !
C'est le fond de commerce ! C’est tout plein d’artistes célèbres et de musique qui ne coûtent plus grand-chose en marketing et en investissement. Et pleins d’artistes qui vendent encore beaucoup, beaucoup de disques sans aucun effort à faire. Eh oui, des années après leur disparition les Brel, Brassens, Cloclo, Sinatra et même les Michel Delpech ou Daniel Guichard font gagner de l’argent (et pas qu’un peu) aux propriétaires de leurs titres. Je ne vous parle même pas des Beethoven, Mozart et autres Ravel pour lesquels il n’y a même plus de royalties à reverser aux ayants droit.
Et puis le catalogue ça permet de faire pas cher des tas de belles compil’ et de cd « nice price » pour inonder les hypermarchés pour que dalle. Et ça, ça ne donne pas à penser que la musique ça ne coûte rien ?
Ah et puis les hypermarchés et les distributeurs, c’est vrai qu’il ne faudrait pas les oublier ceux-là !
Car c’est beaucoup à cause de la concentration des circuits de distribution que les maisons de disque se sont rachetées les unes les autres. Pour survivre, il fallait bien qu’elles aussi soient capables de devenir aussi importantes que les réseaux d’hyper ou les gros de la distribution culturelle. Pour pouvoir vendre non plus de la « musique » mais du volume, du linéaire, de la tête de gondole, des offres spéciales et des nice price… sans oublier surtout de payer au hypers de la marge arrière…
La musique c’est ce que les hypers appellent des « produits d’appel ». C’est le Cd de Zazie ou de Vincent Delerm, ou le best of de André Rieu que la ménagère de 50 ans achète pour pas cher en même temps que ses plats surgelés, son shampoing, son steack. Et ça, ça ne donne pas à penser que la musique ça coûte rien, et que donc ça pourrait être gratos ?
Etape supplémentaire pourquoi se limiter au catalogue ?
Pour les apprentis chanteurs il n’est plus question d’artiste mais de produit. La musique c’est comme la lessive ou les conserves. La musique se conçoit comme un concept marketing, avec une stratégie commerciale. On parle de cible, de lancement, de positionnement marché, de niche à valeur ajoutée… On s’associe aux télés, aux radios à la presse pour des lancements publicitaires d’abord.
Et plus tard on passe directement à la fabrication de produits conjointement avec les médias, ces « Stars » dont la « surface médiatique » est le plus souvent inversement proportionnelle à l’intérêt artistique. Le royaume du pré-fabriqué et du pathétique musical. Et ça, ça ne donne pas à penser que la musique ça ne coûte rien ?
Mort et renaissance des petits.
La cerise sur le gâteau de ce phénomène de concentration, c’est la disparition du réseau de disquaires indépendants qui aurait permis de limiter les dégâts en donnant aux amateurs les moyens de trouver facilement de la musique non pré-vomie – oups – digérée. Ou de ne pas être limitée à l'offre indigente offerte dans les points de vente, laors que les catalogues des maisons de disques regorgent de pépites.
Car l’industrie du disque Française toute heureuse de fourguer du cd à la tonne et de se faire un paquet de fric, n’a jamais voulu d’un équivalent de la loi Lang sur le livre qui a permis en France en tout cas de conserver un réseau de libraires indépendants chercheurs et découvreurs, capables de trouver un public qui s’en fout de la tête de gondole en hypermarchés.
Des indépendants capables de conserver une vie musicale active, renouvelée, vivante.
C’est comme ça qu’on arrive aujourd’hui à un nombre de 60 disquaires en France. Pour combien d’hypers, de Fnac et autres Virgin Mégastores ? Et ça, ça ne donne pas à penser que la musique ça coûte rien donc et que ça pourrait être gratos ?
Pas bête pourtant l’industrie du disque s’associe aux labels indépendants ou les surveille de près. Les petits font le boulot de découverte de nouveaux styles et de nouveaux talents. Et quand ça marche les gros rachètent les artistes à un prix que ne peuvent pas suivre les indépendants. Le risque aux premiers, la vente en volume aux seconds.
Et puisque le marché du disque est un marché très volatile, aussi changeant que la mode car il faut sans cesse stimuler l’envie d’achat du consommateur pour un « nouveau groupe de l’année » qui change toutes les semaines, les industriels du disque n’hésitent pas.
Dès que quelque chose marche, il y a aussitôt production d’une armée de clones pour profiter à fond du succès. Star Ac, Nouvelles Stars, singles de Lofteurs, tant que ça marche on fonce et après on jette. Idem pour les succès des comédies musicales fabriquées à grands coups de pub et soutien télé. Peut importe le contenu du moment que le passage en tiroir caisse suit. Résultat : toujours les mêmes titres et les mêmes clips qui squattent les télé, radios, sonneries de portable… segmentées selon le public concerné.
La variétoche daubasse chez TF1 et RTL2, le R’n’B et le rap pouri chez M6 et NRJ ou Skyrock. La musique devient même le point de départ pour gagner de l'argent grâce aux produits dérivés, comme les sonneries téléphoniques à télécharger qui rapportent beaucoup, beaucoup de sous..
Naissance de la musique jetable.
Et ça, ça ne donne pas à penser que la musique ça ne coûte rien ?
Mais voilà que la technologie arrive. Pour pas trop cher un PC ou un Mac peut se transformer en home studio, et les fichiers musicaux peuvent s’échanger sur internet facilement. La revanche des Jedi de la musique contre l’armée des Clones des hommes en gris de l’industrie musicale est en route.
Elle va semer la révolution à partir du courant de la musique électronique.
Ca va saigner !
(à suivre demain).