Une Tradition Française.
Existe-t-il ailleurs qu’en France une tradition aussi marquée que la tradition dite de la rentrée ?
C’est peut être dû au caractère sacré et à la longévité de nos congés d’été, leur coïncidence avec la reprise scolaire de Septembre… Mais quand c’est la rentrée, c’est la rentrée pour tout ! La rentrée des télés : « Cette année nos programmes seront audacieux et modernes, grand public et culturels, blabla blabla… ». Les rentrées fiscales : « Cette année nous avons décidé de baisser les impôts, enfin surtout pour ceux qui en payent beaucoup, oups pardon c’est pas ce qu’il fallait dire… ». La rentrée des grèves : « mobilisation générale en Octobre… ». Etc, etc.
Et il y a aussi la tradition de « La rentrée littéraire ».
Ah ça ! La rentrée littéraire, c’en est une belle de rentrée !
Mais hélas, trois fois hélas, j’entendais ce matin que la rentrée littéraire était un phénomène en voie de disparition !
A force d’être devenu un phénomène bouffé par la promotion la rentrée littéraire ne sera bientôt plus qu’un souvenir, là ou elle était une occasion de découvrir de nouvelles plumes et des talents en germe.
C’est vrai qu’il y a la Star Ac’ pour ça maintenant !?
Ce n’est pas la quantité qui fait défaut mais plutôt la qualité semble t’il, puisque pas moins de 650 livres ont été publié pour cette rentrée de Septembre. 650 livres ? Qui lit 650 livres par an ?
Mais surtout, la quantité de nouveaux noms est en baisse de 25% au profit d’auteurs de plus en plus lourdement marketés afin de rentabiliser la dite rentrée littéraire à coups de tirages à plus de cent mille exemplaires.
C’est que les éditeurs font leur année de Septembre à Janvier, période de rentrée mais aussi période de prix littéraires suivies des fêtes de fin d’année lucratives (qu’est ce que t’achètes ? ‘Sais pas, si je trouve pas, je prendrais un bouquin »).
Rentrée loupée, année foutue pour les éditeurs.
Du coup il convient de les marketer nos auteurs chéris, proclamés « protecteurs » ou « dynamiteurs » des lettres et de la littérature selon les besoins. Et ainsi d’alimenter le grand cycle de la stupidité : je dois dépenser beaucoup pour pouvoir marketer, je dois marketer beaucoup pour pouvoir dépenser…
Pour en revenir aux auteurs eux même on a actuellement en magasin Maurice Dantec, ses lunettes noires, ses fringues noires, sa pensée ( ?) science-fictionnesque noire et son côté je suis pas encore revenu du rock’n roll. Bon.
On a aussi Amélie Nothomb, son regard borderline et ses chapeaux. Christine Angot qui embarque ses névroses dans une bouche pincée et un regard mi-clos…
La génération chemise blanche/BHL, coupe de douilles à la Dave / Glucksmann a fait des petits.
Je ne me moque pas d’eux, mais du systématisme avec lequel on nous les présente. C’est qu’il faut vendre les gars ! J’imagine donc qu’ils ne sont pas dupes.
Hélas cette année ils sont enfoncés et dépassé par plus malin qu’eux. Par Michel Houellebecq qui a compris que pour faire parler de soi (c’est toujours mieux que de faire parler les livres) il valait mieux organiser son absence que sa présence. Donc pas d’envoi de son livre aux critiques sauf quelques privilégiés bien en cour (comme si ça allait empêcher quoi que ce soit). Et mise en marche des polémiques qui en bien ou en mal contribueront à faire de la « Possibilité d’un île » le phénomène autoproclamé de la rentrée. Marché conclu.
Dans tout ça, vous l’avez remarqué, la seule chose dont on n’entend pas parler ce sont des livres.
Vous savez, ces petits parallépipèdes pleins de lettres dedans qui nous font passer de bons moments.
Et ben à mon avis ce n’est pas trop la peine de compatir aux larmes de crocodiles des éditeurs qui vendent des livres comme de la lessive (comme ça c’est passé pour l’industrie du disque).
Il suffit de voir les réseaux de fidélités qui se créent autour des libraires indépendants, l’utilisation du web pour certains d’entre eux comme moyen de développement, les blogs qui se consacrent au roman ou font part des découvertes des lecteurs, et aussi le développement de sites spécialisés concernant des auteurs et des livres qu’on ne peut plus trouver dans le commerce, etc, etc.
Tout cela tend à montrer qu’effectivement la rentrée littéraire devient de plus en plus un attrape-nigaud dont on peut se passer aussi bien qu’un bandeau rouge autour d’un livre barré d’un titre genre « Grand Prix des Hypermarchés 2006 ».
Il y a des traditions dont on peut finalement très bien se passer !