En Passant Par La Bibliothèque.
Juste en face de chez moi il y a la bibliothèque municipale.
J’ai toujours un sentiment mitigé avec les bibliothèques. C’est merveilleux d’avoir tous ces livres à portée des mains et des yeux, de pouvoir y traîner un moment, le week end, à la recherche de quelques trésors. Mais j’ai un rapport de propriétaire avec les livres. Il faut qu’ils deviennent miens, même si je les prête ou les offre volontiers. La perspective de lire un bon livre et de devoir le ramener à la bibliothèque à tout pour me mettre de mauvaise humeur. Sans compter l’ambiance léthargique et ramollie de ces lieux qui a le don de me foutre le cafard.
Sauf le rayon des enfants.
En prenant mon petit déjeuner le samedi matin, je regarde à travers les grandes baies vitrées. J'y vois les bambins débouler au 2ème étage de la bibliothèque accompagnés de leurs parents. Je rigole tout seul de les voir en train de jouer avec les peluches, ou de lire sagement, tout seul ou à deux, un des livres mis à leur disposition.
J’envie leur découverte de la lecture, et je me souviens de la façon dont le plaisir de lire vient aux enfants. Tout entier, d’un bloc qui les ravit loin, loin et les emmène dans les histoires, les contes… qui deviennent plus vrais que cette réalité qui les invite sans relâche à grandir.
Mais voilà. Je ne peux pas acheter tous les livres que je voudrais lire. Et je ne peux pas les stocker non plus. Sans cesse, je remets au lendemain le moment ou je devrais faire de la place et me séparer de mes amis en papier.
Mais ce samedi je vais quand même à la bibliothèque.
J’ai quand même besoin de réapprovisionner mon cabinet de lecture sur roues. C'est-à-dire les heures de lectures passées dans le RER matin et soir. Et de prendre quelques BD pour lire avant de m’endormir.
Alors m’y voilà dans la bibliothèque.
Je me promène entre les rayons. Je cherche, je cherche… le nom d’un auteur américain, récemment trépassé et que j’aimerai bien lire… Je ne le retrouve pas le nom. C’est un truc qui m’arrive fréquemment : une fois dans les rayons impossible de me rappeler du nom de l’auteur, du nom du groupe, du musicien, du nom de l’ouvrage ou de la collection. Grrrr…. J’ai beau pesté, faire des efforts, me mordre le bout de la langue sur lesquel je….je sais que c’est peine perdue.
Je m’en rappellerai plus tard, une fois loin, loin de la bibliothèque.
D’ailleurs l’écrivain, je m’en rappelle c’est Saul Bellow. Ayest !
Mais trop tard.
Par dépit, je décide donc de me rabattre au hasard sur d’autres auteurs, d’autres livres.
Me voilà dans les B : Baa, Bac, Ben, Bih, Bob…
Christian Bobin ! Voilà une bonne idée. J’aime bien Christian Bobin. Son désespoir tendre et violent, sa vision, sa manière de décrire les êtres et le monde, son humour aussi.
Mais lequel choisir… Il y en a plusieurs des livres de Bobin : L’Autre Visage, L’Enchantement Simple, l’Eloge du Rien… Finalement, au hasard et à la hâte – du moins c’est ce que je crois à ce moment là – je prends La Part Manquante.
Et puis j’oublie… jusqu’à ce matin.
Bien calé dans mon siège designé par la célèbre agence d’architectes décorateurs RERB, je ressors La Part Manquante et je commence à lire.
Au bout de quelques lignes, je cligne des yeux. Ces mots me rappellent quelque chose. Quelque chose que j’ai lu vendredi à cet endroit là.
Quelque chose qui dit ça : « Avec l'enfant commence la solitude des jeunes femmes. Elles seules connaissent ses besoins. Elles seules savent le prendre au secret de leurs bras. La pensée éternelle les incline vers l'enfant, sans relâche. Elles veillent aux soins du corps et à ceux de la parole. Elles prennent soin de son corps comme la nature a soin de Dieu, comme le silence entoure la neige. Il y a la nourriture, il y a l'école. Il y a les squares, les courses à faire et les légumes à cuire. Et que, de tout cela, personne ne vous sache gré, jamais. Les jeunes mères ont affaire avec l'invisible. C'est parce qu'elles ont affaire avec l'invisible que les jeunes mères deviennent invisibles, bonnes à tout, bonnes à rien. L'homme ignore ce qui se passe. C'est même sa fonction, à l'homme, de ne rien voir de l'invisible. »
Je ris tout seul d’avoir retrouvé La Part Manquante.
D’autant plus qu’en lisant le post de maviesansmoi je ne les trouvais pas justes ces très beaux mots de Bobin. Pourtant je me sens proche de cet homme paradoxal, un solitaire qui aime les êtres humains, un individu prêt à payer au prix fort l’espoir d’un idéal, un faux contemplatif. Mais un vrai orgueilleux d’une vie ou la seule exigence est le silence s’il accompagne le besoin de sentir ainsi vibrer l’existence.
Mais je n’aime pas son idée de dire que seules les femmes, et même les mères auraient affaire avec l’invisible. Ce n’est pas plus une affaire de maternité que de sexe. La maternité, la féminité, c’est juste un point d’accès privilégié. Et encore, pas pour toutes.
Et si –peut-être- la fonction de l’homme, c’est de ne rien voir de l’invisible, mais de se coltiner stupidement les luttes de pouvoir imbéciles et les conquêtes de territoires dérisoires. De devenir aveugle au profit des glorioles des titres inscrits sur les cartes de visites, des médailles en fer blanc des champs de bataille, ou en chocolat des stades olympiques. De faire semblant de croire en la compétition, la concurrence et toutes ces âneries. Des hommes qui souhaitent ne pas se laisser duper -pas complètement, pas seulement- par cela, il y en a.
Des hommes tentés par l’invisible, il y en a aussi.
Même Bobin finalement le reconnaît : « ceux qui parmi les hommes voient quand même, ils en deviennent un peu étranges. Mystiques, poètes ou bien rien ».
Et mon dieu, comme la tentation du rien peut être forte parfois.