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24 mars 2005

C'est Arrivé Près De Chez Vous.

florence_et_hussein11

En l’occurrence, c’est arrivé près de chez moi ! En tout cas, si je pars de l’idée que mon chez moi c’est aussi mon lieu de travail. Après tout j’y passe plus du tiers de mes journées presque toute la semaine, alors…

Alors sur la route qu’emprunte mon bus pour aller jusqu’au boulot, je passe à chaque fois à quelques mètres de ce bâtiment, assez récent, construit il y a quelques années seulement. Il est fermé par des grilles, il y a toujours une ou deux voitures de la police de l’air garée devant, l’architecture est assez moderne et fonctionnelle. Ca pourrait être une école, le bâtiment des installations techniques d’une mairie, un dispensaire ou plus bêtement des bureaux comme il y en a des milliers de mètres carrés dans le coin.

En fait ce bâtiment, c’est le centre de rétention des étrangers.

Vous arrivez en France à Roissy, sans papiers, ou avec de faux papiers, la police de l’air vous arrête et vous conduit dans ce bâtiment jusqu’à ce que l’Etat (via l'Ofpra) statue sur votre sort selon que vous soyez un immigré illégal, un trafiquant potentiel, ou un demandeur d’asile.

Avant que le bâtiment soit construit, ces personnes là étaient emmenées à l’hôtel Ibis, juste à côté de la station de RER. La police y louait à l’année un étage entier pour y caser le temps nécessaire les immigrés arrêtés. J’allais y déjeuner de temps en temps au restaurant de cet hôtel, et rien ne laissait présager aux clients de passage que leur hôtel était également un lieu de rétention. Ca aurait fait mauvais genre. Déjà qu’il arrive que des voyageurs protestent au moment ou l’un(e) d’entre eux est amené de force dans l’avion pour être rapatrié « quelquepart », empêchent l’avion de partir au plaisir que vous imaginez des autres voyageurs, et de la police obligée le plus souvent de ramener l’illégal à l’hôtel.

C’est parce que les conditions de rétention dans cet hôtel étaient tellement lamentables que ce bâtiment tout neuf a été construit, et qu’au passage la légistlation a été « aménagée ». L’hôtelier a récupéré ses chambres. On voit maintenant de grandes affiches proposant de louer des chambres « à l’heure » pour la modique somme de 15 euros. Si vous voyez ce que je veux dire… de la prison au baisodrome il n’y a qu’un petit pas pour le groupe Accor.

Devant les exactions commises dans cet ancien centre, le nouveau est censé remettre les choses dans l’ordre.

La Croix

Rouge

a obtenu d’y disposer d’un bureau permanent pour s’occuper des illégaux en visite temporaire en France. En échange d’une confidentialité absolue sur ce qu’il s’y passe. Et ce qu’il s’y passe, c’est impossible de le savoir. Le bâtiment a été construit à l’écart, dans un recoin donnant sur une des pistes d’accès vers les aérogares. Il est sécurisé. Le seul bâtiment à proximité est un des deux bâtiments de

la Servair

, une boite qui fabrique ces délicieux plateaux repas que vous pouvez déguster avec amour quand vous vous envolez vers une destination enchanteresse. Et à

la Servair

, on y trouve la même population que dans le centre de rétention. Mais avec des papiers en règle (je suppose) et un salaire pas bien miraculeux si j’en juge aux vêtements de Mme Koulibali ou aux chaussures de Mr Diop.

Mais revenons vers le centre de rétention flambant neuf.

De l’extérieur, on peut voir un petit drapeau de

la Croix

Rouge

qui a été suspendu à une fenêtre. C’est en se faisant embaucher comme médiatrice qu’une journaliste[1] s’est fait embaucher par

la Croix

Rouge

dans ce centre. Car il est interdit au public, et aux médias. MSF par exemple se voit refuser l’entrée dans les centres de rétention. Ca doit être pour des raisons de sécurité et rien d’autre.

Cette journaliste y est restée plusieurs mois, et puis elle a raconté ce qu’elle y a vu. Elle y a vu tout ce que ce bâtiment et une nouvelle réglementation avait promis d’éradiquer : des violences physiques et morales, des agressions sexuelles, des détenus frappés arrivant au local de

la Croix

Rouge

avec des marques de coups, des traumatismes thoraciques, crâniens, j’en passe et des meilleures, et plutôt dès qui dépassent le bon vieux coup de bottin sur la tête façon Ripoux. Ces actes sont le fait de la police de l’air, il ne s’agit pas de violences entre détenus. Les médecins du SMUR de Roissy ne sont pas autorisés à signaler ces mauvais traitements aux autorités judiciaires.

Bref, cet endroit extérieurement bien propret, construit avec l’argent des citoyens de ce pays, géré par des représentants de l’Etat (donc des gens qui vous représentent vous ou moi), régis par des textes de loi, fonctionne comme une zone de non droit. Il semble qu’aucune mesure n’ait été prise vis-à-vis des policiers s’étant permis ce genre d’acte, sans même parler de mesures judiciaires.

La journaliste elle, a été désavouée par

la Croix

Rouge

qui a troqué sa présence dans ce lieu en échange de son silence.

Je passe matin et soir devant ce bâtiment. Rien de l’extérieur ne laisse imaginer ce qu’il peut s’y passer dedans. Parfois je suis en train de lire mon journal, j’y lis des articles sur ce qu’il s’est passé dans la prison d’Abu Graib, comment les prisonniers sont traités à Guantanamo hors de toute juridiction, qu’on juge les anciens tortionnaires Argentins ou Chiliens qui eux aussi ont torturés et maltraités derrière des murs d’apparence bien proprets, des écoles, ou ailleurs, etc...

Je trouve ça scandaleux, mais devant les grilles de ce bâtiment je n’y ai jamais vu personne crier au scandale. Ca intéresse moins de monde. Ceux qui sont là dedans sont des exilés, pas de famille ou d’amis ici pour s’inquiéter de leurs sorts et réagir. Souvent c’est parce que chez eux la situation est bien pire qu’ils ont décidé de quitter leur pays, quitte à se jeter dans la gueule d’un autre loup.

On ne quitte pas son pays par plaisir, uniquement pour un Smic ou un Rmi… faut arrêter de dire des conneries. Vous le feriez vous ? On quitte son pays quand on a perdu espoir de pouvoir y vivre avec le minimum de décence vitale. Et une fois que c’est décidé, et bien c’est décidé et on ne fait pas marche arrière.

Quand je rentrerai de vacances, que je retournerai au boulot, le centre de rétention fonctionnera toujours, ils « « « accueillent » » » environ 20 000 personnes par an. Il y a des lois dans ce pays contre l’immigration illégale. On peut en comprendre la nécessité et en discuter les modalités. Mais il fonctionnera dans quelles conditions ?

Parce qu’il y a des choses qui demeurent inacceptables, partout et toujours.


[1] Anne de Loisy, Bienvenue en France ! Six mois d'enquête clandestine dans la zone d'attente de Roissy, Cherche Midi, 240 p, 15 €.

ijodee_nigria1

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Commentaires
T
Quand l'absolue est remplacé par un détail<br /> Quand l'avenir de l'homme est remplacé par l'avenir de l'argent<br /> Quand Dieu est remplacé par un soupçon de savoir en science<br /> Alors la droite et la gauche la main dans la main, nous extermineront.
C
C'est bien d'en parler. De révéler ces ignominies.<br /> C'est en parlant comme ça que les choses avanceront. Le bouche à oreille fera son effet. Relayer l'information.
S
Brrr, je suis ébahie par tout ce que tu rapportes. Comment peut-on justifier de tels agissements ? Comment peut-on accepter l’interdiction d’accès aux associations humanitaires ? Pourquoi n’avais-je jamais entendu parler du bouquin de cette journaliste ???
B
Je n'ai rien à dire de plus.
A
C'est terrifiant.<br /> <br /> C'est scandaleux.<br /> <br /> C'est inhumain.<br /> <br /> Même s'il existe des lois et qu'on entend les faire respecter (au demeurant, les modalités, effectivement, semblent à revoir), à quoi sert cette violence ?<br /> <br /> A montrer son pouvoir ? A se sentir plus fort, meilleur que l'autre ?<br /> <br /> J'ai peur de cette humanité...
L a V i t a N u d a
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