Sortilège & Ravissement
Hier soir, le spectacle que j’ai vu m’a ravi.
Le metteur en scène, pardon il faut maintenant dire le « scénographiste » !!! Pensez y quand vous bougez un meuble chez vous ! Vous réalisez en fait une nouvelle scénographie de votre intérieur. Donc le metteur en espace, euh, le « scénograveur » avait eu l’idée, pour montrer un changement de saison dans le spectacle, de faire tomber une pluie crépitante de fleurs rouges sur la scène, qui se tenaient comme plantés au sol, droit sur leurs tiges, par je ne sais quel dispositif. Cette idée et son résultat –je ne sais pas trop pourquoi- m’a enchanté, tout comme le reste de ce spectacle : un des plus beaux que j’ai pu voir. Mais bon, c’est vrai, vous me connaissez (ou pas) je suis bon « publicatiste ».
Bien sûr le spectacle en général c’est fait pour ça : pour susciter de l’enchantement et du ravissement. Toutes choses qu’on a plus de mal à trouver au quotidien.
Quoique parfois, il suffit de peut de choses : un mot prononcé par notre bébé, l’odeur d’un parfum qu’on avait oublié, la courbe de son épaule ou sa respiration quand il/elle dort…
Le ravissement suppose bien des choses.
Un effet de surprise. Ce qui nous ravit nous surprend, se produit à un moment inattendu, nous prend de court. Les discours de notre 1er ministre nous ravissent ils ? Dans la mesure ou ce qu’il dit on a pas besoin de l’entendre pour le savoir, la capacité de ravissement de Raffarin ne repose plus que sur son physique de jeune premier.
Un sens du timing. Car ce qui peut nous ravir à 11h48 peut passer inaperçu à 9h12. Il faut que tout se passe comme dans les grandes tragédies, pardon, les grandes "tragéités" classiques : unité de lieu, de temps et d'action.
Du coup, le ravissement suppose notre participation active. Même si nous ne savons pas ce qui va nous ravir, nous l’attendons, nous l’espérons tout en ignorant que c’est le cas. Celui ou celle qui est ravi(e) ne demande en fait qu’à l’être, il espère que quelque chose ou quelqu’un viendra mettre le désordre dans sa "scénographologie", pour son plus grand bonheur (et les tourments qui vont avec).
D’ailleurs celui ou celle par qui s’opère le ravissement, le fait la plupart du temps à son insu, suivant le principe du coup de foudre tel qu’il existe dans les contes de fées. Tout l’inverse du maléfice, ourdi en secret par quelqu’un dont la victime ignore l’intention maléfique : pensez y avant de croquer la pomme (non, pas celle là, l'autre, celle avec les pesticides).
Alors qui dit ravir, dit autre chose que nous même. Quand je me vois dans la glace le matin, je ne suis pas positivement ravi. Ce qui est ravissant est hors de nous : une femme, un homme, une robe (tant qu'elle est dans le magasin), le maillot de foot Manufrance de l’AS St Etienne, une pâtisserie dans une vitrine… Hors de portée, d’un seul coup pourtant l’illusion de pouvoir s’en saisir nous ravit.
A une condition, celle de pouvoir nous y abandonner. Le sortilège ravissant agit ainsi. Nous nous rendons à lui, nous ne demandons qu’à lui abandonner notre bon sens, nos habitudes, notre capacité de réflexion… le bonheur est à ce prix. Au moins pour un temps. Le plaisir de remettre entre les mains de quelqu’un d’autre tous les éléments de notre « scènologie » est récompensé par l’espoir que cet effet de surprise va durer.
Et parfois il dure. Le temps d’un feu de paille, si au fil du temps ce qui ravissait finit par énerver et puis devenir insupportable, comme un prémice de séparation à venir : « il est si mignon avec ce côté extravagant », devient « je ne supporte plus qu’il soit toujours en retard ».
Mais si la potion magique du ravissement est préparée avec amour, alors elle touche à l’essentiel, et maintient quelque chose d’essentiel pour longtemps : une passion, une relation amoureuse, l’image de quelqu’un. Sûrement une forme de confiance en demain.
C’est toujours fascinant de voir comment une construction si fragile peut parfois finalement se révéler si solide quant elle touche à quelque chose de vital. Comme un équilibre instable qui pourtant résiste à tout, aussi longtemps qu’il est alimenté par l’envie de ceux pour qui le sort en est jeté.
British Columbia Ballet - Orpheus
Photo : Michel Cavalca