La Santé
Rendez-vous à l'Institut Protestant. Non je n'y vais pas pour me convertir ou m'assimiler à un appel au Messie Jospin pour l'Europe. Non, non.
J'y vais pour me renseigner sur les programmes de conférences pour cette année.
L'institut est au 83 Bd Arago. Mais comme c'est la première fois que je m'y rend, je ne m'aperçois pas que le n°83 est un peu en retrait au coin du boulevard et de la rue Trucmuche (c'est fou le nombre de rue Trucmuche, c'est pire que les Av. De Gaulle, Leclerc, ou Pierre Brossolette).
Et donc, je me retrouve face à ce que j'imagine être le n°83 : la prison de la Santé !!!
Comme quoi de la religion à la prison, il peut n'y avoir parfois qu'un (numéro) impair de plus.
Cette grosse batisse, massive, sombre et sale se distingue des contre allées élégantes, bordées de marroniers derrière lesquels la prison essaie de s'abriter. Inutile, on ne voit qu'elle. En fait elle fait juste semblant.
Un beau soleil joue à cache-cache entre les feuillages encore verts. Il suffit de marcher pour jouer au coup de soleil / coup d'ombre / j'te vois / j'te vois pas... J'adore cette période de l'année, entre été et automne.
Le boulevard est désert. Enfin presque.
Il n'y a que moi et cette jeune femme, plantée, debout, sur le trottoir opposé, face à la prison. Elle parle, ou plutôt elle crie. Vous savez, de cette voix qu'ont les blacks qui chantent le gospel. Une voix hyper-sonore, qui vous réveillerait une séance pleinière au Sénat après leur banquet de retrouvailles.
En fait elle s'adresse à l'un des détenus, perché la haut dans un des étages de la Santé. Ils se parlent dans un mélange de Français et d'une langue Africaine que je suis bien incapable d'identifier.
Malgré la distance, le bruit de la circulation, et les marronniers qui doivent étouffer les sons, ils réussissent quand même à se parler. Elle dehors, lui dedans.
Peut-être qu'il n'y avait pas de visite aujourd'hui, ou qu'on a pas voulu la laisser entrer, ou que le détenu est puni... En tout cas la performance vocale force le respect ! Je serais le producteur de Lara Fabian (Dieu m'en préserve), bref... Passons.
Et puis là ! Alors qu'elle s'adresse à... A qui d'ailleurs ? Un parent, un fiancé, un ami ?
Tout là-haut dans le marronnier, un marron encore dans sa coque se fait la belle.
Au propre et au figuré.
Le voilà qui quitte l'arbre natal, et dans une chute vertigineuse (pour un marron) vient rebondir pile sur le sommet du crâne de miss 4 octaves.
Ca fait : Pok !
Je retiens mon rire. Car la jeune femme est totalement stupéfaite par cette chute occipitale.
Dans ses yeux je lis le coup du sort qui se renouvelle. La déveine, la scoumoune, la poisse, l'usure, le trop c'est trop... Le Pok que fait le marteau du juge qui confirme une sentence de prison.
La coloratura noire en reste muette.
Ce pok, c'est la promesse de se coltiner un quotidien de merde parce que l'autre là-haut, il a si bien joué au con qu'il a gagné le gros lot.
Elle ramasse ses affaires et s'en va sans un mot.
(moi aussi, jusqu'à lundi. Bon week end a tutti).
La Cour de Prison / Vincent Van Gogh